OGM : l’expérimentation animale au coeur du débat
Afin de replacer l’expérimentation animale au coeur du débat actuel autour de l’étude de toxicité du maïs OGM menée sur des rats par le Pr Séralini , nous avons choisi de republier ici l’intégralité de l’article paru le 3 octobre 2012 sur lemonde.fr , avec l’aimable autorisation de son auteur Florence Burgat.
OGM : ce que la controverse autour de l’étude Séralini révèle aussi
Par Florence Burgat, directeur de recherche en philosophie à l’INRA
En effet, en révélant au grand public que deux lignées de rats ne développent ni les mêmes symptômes ni les mêmes pathologies, en faisant valoir qu’il existe une variabilité interspécifique significative, les chercheurs ont du même coup jeté le doute sur l’opportunité du recours au « modèle animal » pour déterminer les normes sanitaires destinées à protéger l’homme et, plus largement, pour comprendre les pathologies qui l’affectent et proposer les soins qui pourraient y remédier. Sans que ce fût son objet ni son but, cette controverse a mis en question la pertinence de l’extrapolation de l’animal à l’homme sur laquelle est fondée l’expérimentation animale et, par voie de conséquence, la validité des résultats qui en sont tirés.
A cet élément s’en ajoute un autre, non moins inquiétant. En révélant que cette variabilité des réactions d’une lignée à l’autre était bien connue des chercheurs, donc des industriels pour lesquels ils travaillent parfois, ceux qui ont pointé les limites de l’étude ont implicitement dit qu’il était possible d’obtenir tel ou tel résultat en fonction de la lignée d’animaux que l’on choisissait de soumettre aux tests. On sait par conséquent fort bien produire les résultats qui seront les plus favorables à la demande d’autorisation de mise sur le marché ; il suffit d’utiliser la lignée qui ne développe pas les pathologies redoutées.
De cette controverse, l’expérimentation animale sort doublement affaiblie : d’une part, elle produit des résultats inadéquats au but qu’elle se fixe et, d’autre part, ceux-ci sont manipulables. Mais il reste un autre aspect qui n’a pas besoin de ces arguments pour être considéré. Il tient dans la décision morale et politique qui consiste à faire subir aux animaux tous les maux possibles et imaginables. Cette façon de dire n’est pas excessive, comme la liste des finalités des expériences sur les animaux qui occupe l’article 5 de la directive 2010/63 UE du 22 septembre 2010 en convainc.
Ces rats déformés par les tumeurs, réduits à leurs tumeurs, sont exhibés à titre de preuve des maux qui pourraient guetter l’homme, comme si ces rats, eux, n’étaient pas affectés, malades, souffrants et bientôt « sacrifiés » pour les suites de l’expérience. D’où vient notre incapacité à ne pas les voir, eux ? Comment ne pas s’interroger sur un système soi-disant mis au service de la vie et du soin et cependant tout entier édifié sur une logique meurtrière ? Ceux qui clament que l’on ne peut pas faire autrement que de recourir aux « modèles animaux » peuvent-ils sérieusement proposer de démultiplier les espèces et les lignées en leur sein sur lesquelles seront testées toutes les substances, d’allonger démesurément le temps de ces expériences et le nombre d’animaux pour se faire une idée de l’ampleur des désastres ?
Les méthodes substitutives à ces expériences existent ; elles doivent être soutenues financièrement et encouragées dans leur développement. Si elles comportent, comme toute méthode, des limites, elles offrent en tout cas de nouvelles voies de recherche et de compréhension des pathologies, et rompent avec cette insoutenable logique selon laquelle il faut rendre malades et tuer les uns pour sauver les autres en vertu d’une distinction métaphysique entre « l’homme et l’animal » qui ne résiste pourtant pas à l’examen.
Florence Burgat, directeur de recherche en philosophie à l’INRA