Ce que j’ai vu dans un laboratoire de vivisection
Traduction par International Campaigns d’un entretien de The Abolitionist avec la comportementaliste animalière Colleen McDuling à propos de la vivisection. Publié sur le site Abolitionist online.
Par Claudette Vaughan
Lorsque le Dr Andre Menache et la scientifique comportementaliste Colleen McDuling se sont exprimés à Sydney début 2007, ils ont reçu un excellent accueil pour leur engagement contre la vivisection. Ils sont tous deux des orateurs accomplis.
Colleen McDuling possède une maîtrise en biochimie moléculaire et cellulaire et a également étudié l’éthologie et la biologie en se spécialisant dans les petits mammifères et plus particulièrement les rongeurs. Colleen McDuling et le Dr Andre Menache ont participé à une tournée en Australie début 2007. Voici l’interview de Colleen avec l’Abolitionist.
Abolitionist : Vous êtes scientifique du comportement animal. Tout d’abord, qu’est-ce que cela signifie ? Ensuite, qu’avez-vous pu observer comme actes commis sur de petits animaux tels que des souris, des cochons d’inde et autres dans les laboratoires qui vous ont incitée à prendre position contre l’expérimentation animale ?
Colleen McDuling : Soyons clairs. On peut étudier le comportement animal de deux façons. Le psychologue animalier met l’animal dans une boîte, le soumet à différents stress et variables puis observe les réactions de l’animal. L’éthologiste animalier, lui, entre dans la boîte lui-même, pour ainsi dire, et observe ce que font les animaux dans leur environnement. Ces animaux, même en tant que sujets d’observation, sont dans un état de liberté sans contrainte qui reproduit, autant que faire se peut, leur environnement naturel. Ceci leur permet d’être eux-mêmes et d’évoluer de façon naturelle. Ils sont alertes, se comportent comme ils le feraient dans leur milieu naturel et cette liberté leur permet de développer leurs fonctions mentales. L’éthologie a été reconnue pour la première fois comme une science lorsque les trois pères de l’éthologie moderne que sont Tinbergen, Lorenz et von Frisch furent récompensés ensemble du prix Nobel en 1973.L’éthologie se définit comme l’étude scientifique du comportement animal en milieu naturel. C’est le type de science du comportement animal auquel j’ai participé. Tous mes sujets d’observation étaient dans un état de liberté sans contrainte et dans un environnement aussi naturel que possible. J’ai travaillé avec (et non pas « sur » !) les rongeurs que l’on retrouve traditionnellement dans les laboratoires : souris, rats, cochons d’inde, hamsters, gerbilles et aussi lapins. J’ai également étudié de façon approfondie la biologie de ces animaux ainsi que le comportement des rongeurs et des lapins que l’on trouve généralement dans la nature.
En ce qui concerne ce que j’ai vu dans les laboratoires, je pourrais écrire des volumes entiers. J’ai vu des choses qui vous feraient dresser les cheveux sur la tête et qui vous donneraient des insomnies et des cauchemars pour le restant de votre vie. J’ai vu des lapins attachés, leur tête dans des casiers étroits et auxquels on injectait des solutions via les veines de leurs oreilles. J’ai vu des souris avec des tubes enfoncés à travers la gorge afin d’injecter directement des médicaments dans leur estomac. J’ai vu des souris attachées, légèrement anesthésiées, avec l’embout cassé d’un petit tube de verre enfoncé dans l’orbite d’un oeil, le sang coulant de leurs vaisseaux situés derrière leurs yeux. J’ai vu des souris, des cochons d’Inde et des lapins auxquels du plasma humain était directement injecté dans la cavité péritonéale (près de l’abdomen). Et je les ai vus se débattre et j’ai entendu leurs cris, des cris qui me hantent toujours. J’ai vu des grenouilles décérébrées auxquelles on enfonçait une aiguille derrière la tête pour détruire le cerveau. J’ai vu des rats et des souris que l’on tuait en leur brisant les vertèbres cervicales. J’ai vu des lapins conscients dont le sang s’écoulait par des aiguilles plantées dans le cœur. J’ai vu des babouins maintenus dans du formol alors qu’ils n’étaient que sous une légère anesthésie. Ils se tordaient de douleur. J’ai vu des techniciens animaliers rire en tuant des animaux. J’ai vu des animaux maltraités par des étudiants inexpérimentés. J’ai vu des cochons tomber du chariot qui les transportait du bloc opératoire à leur enclos. Ces cochons étaient conscients, leurs points de suture lâchaient et ils hurlaient. J’ai vu les conditions de privation dans lesquelles les animaux sont maintenus et le manque total de sensibilité avec lequel ils sont traités. Ils sont uniquement considérés comme du matériel de laboratoire, pas comme des êtres sensibles capables de ressentir douleur et souffrance.
Tout ceci m’a convaincu que je devais faire quelque chose pour témoigner contre les crimes violents commis dans nos laboratoires. J’ai toujours été passionnée par les animaux et je les ai toujours considérés comme mes meilleurs amis. Aussi, les voir traités ainsi m’a véritablement blessée et enragée. Le pire, c’est de voir des petits animaux tels que des rongeurs – souris, rats, cochons d’Inde et hamsters – torturés au nom de la science. Ces animaux sans défense sont à la merci totale des vivisecteurs. Ils sont par nature gentils et sans vice. Cela m’a fait réfléchir sur la nature humaine et m’a donné la volonté d’essayer de corriger la situation et de faire cesser cette violence et ces souffrances si courantes.
Abolitionist : Je ne pense pas que beaucoup de gens savent que la majeure partie des animaux utilisés pour l’expérimentation animale le sont pour trouver « le modèle parfait ». Pouvez-vous nous parler de cela, Colleen, et nous dire pourquoi le « modèle animal parfait » n’existe pas pour l’espèce humaine ?
Colleen McDuling : Il n’existe tout simplement pas de modèle animal parfait. Les animaux ne peuvent même pas être considérés comme des modèles. Un modèle est quelque chose qui est censé représenter autre chose. Les animaux ne sont absolument pas représentatifs de l’espèce humaine. Ils sont biologiquement très différents, déjà les uns par rapport aux autres, et de plus, ces différences sont encore plus considérables entre eux et les humains. Les animaux et les humains sont différents. Les animaux ne permettent pas de prévoir ce qui passera pour les humains. Ils ne peuvent en aucune façon être considérés comme des indicateurs fiables de ce qui arrivera aux humains. Ce que l’on découvre chez les animaux doit être redécouvert chez les humains. Je ne suis pas qu’une scientifique en comportement animal, je suis également une biochimiste moléculaire. J’étudie les fonctions de l’ADN au sein de nos cellules. L’ADN fait de nous ce que nous sommes. Notre ADN n’est pas le même que celui d’une souris ou d’un chat. Nous sommes tous différents. Nous partageons 99 % de notre ADN avec les chimpanzés, qui sont nos plus proches parents. Pourtant, ces derniers ne peuvent attraper notre malaria, notre VIH-SIDA ou notre hépatite B. Et certaines personnes pensent que les animaux sont le modèle idéal pour étudier les maladies humaines. Toutes les recherches devraient être faites espèce par espèce. On ne peut extrapoler sans danger les données obtenues d’une espèce sur une autre espèce. La vivisection est une fraude scientifique.
Abolitionist : Il est évident pour nous que l’utilisation faite des animaux par l’expérimentation animale, qui cause des douleurs indicibles aux animaux qui seront ensuite tués, démontre que notre espèce n’accorde pas la même valeur à une vie non humaine qu’à une vie humaine. Quel message souhaiteriez-vous faire passer aux vivisecteurs qui sont en train de lire cet entretien ?
Colleen McDuling : Que toute vie est sacrée et qu’elle doit être respectée. Ce n’est pas parce que nous sommes des humains que nous devons croire que nous avons carte blanche pour infliger de la souffrance aux autres espèces qui partagent la planète avec nous. Nous possédons la technologie qui nous permet de développer des alternatives à l’expérimentation animale. Nous en avons déjà développé certaines, telles que l’utilisation des leucocytes humains pour détecter des substances causant fièvres et autres réactions. Ces alternatives sont moins dangereuses, plus fiables, plus reproductibles et en fait spécifiques à l’espèce humaine. En utilisant ces alternatives et en en développant d’autres, nous créons un système de test moins dangereux qui rendra la médecine et la science plus fiables pour l’humain. Au 21ème siècle, nous devrions nous efforcer en premier lieu de rendre ce monde meilleur pour tous en développant une science avec conscience et empreinte de compassion.
Abolitionist : Les chercheurs sur animaux mettent désormais au point de nouveaux sujets de test, soit en introduisant du matériel génétique étranger dans l’organisme d’animaux « normaux », soit en interférant avec leur constitution génétique. Colleen, que pensez-vous des travaux génétiques qui utilisent un modèle animal ?
Colleen McDuling : Pour moi, ça n’a pas de sens d’interférer avec la nature. Non seulement nous créons des animaux génétiquement modifiés, mais nous nous mentons à nous-mêmes. Il est impossible sur cette planète que des animaux génétiquement modifiés puissent nous informer d’une quelconque manière sur notre condition d’humain. La façon dont ce matériel génétique étranger va s’exprimer s’appelle la biochimie moléculaire. On implante des gènes humains dans une souris. Ces gènes utilisent le système cellulaire de la souris pour fabriquer un produit fini, généralement une protéine. C’est ce qui arrive à cette protéine à l’intérieur de la cellule de la souris qui est important. Il ne s’agit plus d’un produit génétique humain car il est modifié à l’intérieur de la cellule de la souris puis transformé en une protéine quasi-humaine et quasi-souris. Cette protéine non naturelle ne fonctionne ni comme une protéine de souris, ni comme une protéine humaine. Elle se situe quelque part entre les deux. Une maladie humaine ne peut donc pas être reproduite dans une souris. On ne peut même pas envisager de simuler la nature exacte d’une maladie humaine en implantant des gènes étrangers dans une autre espèce. Cela ne fonctionnera jamais.
Abolitionist : Qu’avez-vous pensé de l’Australie et des militants australiens lorsque vous vous y êtes rendue ?
Colleen McDuling : Je suis tombée amoureuse de l’Australie, de sa nature, de ses peuples, de sa culture et de son environnement en général. J’ai été impressionnée par le nombre de végétariens et de vegans en Australie et aussi par le nombre de restaurants disponibles pour ces personnes. J’ai trouvé que les groupes pour les droits des animaux y sont très pro-actifs, même si j’estime que davantage de choses pourraient encore être faites. Je ressens cela pour tous les pays. J’ai été plus particulièrement impressionnée par les groupes AAHR et VOICELESS, même si j’aurais bien aimé passer plus de temps avec eux et mieux connaître leurs activités. En fait, j’aimerais passer quelques années en Australie pour y apporter ma contribution au mouvement pour les droits des animaux. Je sens que le terrain en Australie est très propice et que davantage de graines doivent y être plantées et plus de voix s’élever. J’aimerais également en savoir plus sur les animaux qui y vivent, surtout les rongeurs. J’estime également que les médias pourraient davantage donner la parole aux groupes pour les droits des animaux, que ce soit dans la presse, à la radio ou à la télévision. Il devrait y avoir plus de campagnes de sensibilisation du public destinées à informer le public sur ce qui se passe dans les laboratoires et de leur demander de s’engager plus et de soutenir davantage. Ce fut pour moi une merveilleuse expérience que d’être ici et d’avoir contribué humblement au travail qui est fait dans ce pays. Je remercie Helen Rosser et AAHR pour m’avoir donné cette opportunité.
Abolitionist : Un article de l’association scientifique pour une recherche humaine Dr Hadwen Trust for Humane Research sur la maladie de Parkinson rappelle que cette maladie utilise beaucoup de singes comme modèles. Une substance chimique toxique appelée MPTP leur est injectée afin d’essayer de reproduire la maladie. Ces animaux souffrent de dommages au cerveau et succombent à certains symptômes. Il s’agit certainement d’une bonne voie à suivre pour sensibiliser le grand public en raison de la nature macabre de l’expérimentation animale. En effet, provoquer délibérément chez un animal non humain un traumatisme crânien qui risque également de le tuer sur le coup doit être considéré comme un crime. Mais au lieu de cela, ces recherches sont financées par le gouvernement et l’industrie.
Colleen McDuling : Je pense que tout cela est absolument insensé car on ne peut jamais vraiment apprendre quoi que ce soit d’un animal dans la mesure où ce que l’on découvre sur un animal doit être redécouvert sur l’humain. De plus, en tant que comportementaliste animalière, je suis spécialiste des rongeurs et parmi les rongeurs eux-mêmes il existe de grandes différences. Je parle des rats, des souris, des cochons d’inde, des hamsters et des gerbilles, les 5 principaux animaux utilisés en recherche médicale. Dans ce groupe d’animaux, il existe déjà d’énormes différences, mais les différences entre eux et nous sont encore plus grandes. Ces animaux ne peuvent prédire que très médiocrement ce qui peut se passer à l’intérieur du corps humain. Par exemple, dans le cas de la maladie de Parkinson, oui ils utilisent des singes. Mais ils utilisent également des rats pour essayer de reproduire les symptômes via lesquels ils détruiront chimiquement une partie du cerveau. Ils essaient donc d’introduire les symptômes de cette maladie chez le rat, mais ils ne peuvent jamais obtenir exactement les mêmes symptômes que chez l’humain car, dans des circonstances normales, les rats n’attrapent pas cette maladie. Leurs maladies ne sont pas nos maladies donc ce qu’ils attrapent est un quasi-Parkinson et on leur donne ensuite un médicament pour essayer de soigner cette maladie, mais on n’apprend absolument rien.
Abolitionist : Pouvez-vous nous dire comment ils testent le SIDA sur des primates en Afrique du Sud ?
Colleen McDuling : Oui, ils utilisent des primates en Afrique du Sud pour le HIV/SIDA, mais, sachant que les primates n’attrapent pas le HIV/SIDA, ces recherches sont inutiles également parce que ces animaux sont apparemment immunisés contre cette maladie qui est spécifique aux humains. C’est pour cela qu’elle s’appelle le virus de l’immunodéficience humaine (VIH).
Abolitionist : Quelle est l’ampleur de la vivisection aujourd’hui en Afrique du Sud ?
Colleen McDuling : Elle est importante. Elle est très pratiquée, surtout dans les institutions académiques où des articles sont régulièrement écrits en s’appuyant sur des travaux réalisés plus particulièrement sur des rongeurs. Des primates sont également utilisés. Le nombre de chats et de chiens utilisé est moins important qu’au Royaume-Uni, mais les animaux les plus couramment utilisés dans les laboratoires sont les rats, les souris, les cochons d’Inde, les hamsters et les lapins.
Abolitionist : Comment imaginez-la fin de la vivisection ? Il n’existe aucune législation au monde qui garantisse aux animaux dits « de laboratoire » des droits ou une quelconque protection. En fait, c’est probablement l’inverse qui existe, vu la protection dont bénéficient les chercheurs et l’apathie du public.
Colleen McDuling : Nous devons alerter le grand public sur ce qui se passe vraiment. L’éducation est très importante. Je crois personnellement en une tactique alarmiste qui dévoilerait davantage au grand public tous les détails morbides. C’est à mon avis le seul moyen de l’informer de la réalité dans les laboratoires. Mais cela ne pourra se faire qu’au moyen d’enquêtes clandestines et celles-ci sont très délicates à organiser. En fait, il faut être à la fois à l’intérieur et à l’extérieur. Nous avons besoin d’informations sur ce qui se passe directement dans les laboratoires. Mais les personnes capables de réaliser ce genre d’enquête sont plutôt rares.
Abolitionist : Cela vous met-il mal à l’aise d’utiliser vous-même deux argumentations différentes ?
Colleen McDuling : Étant à la fois scientifique et comportementaliste animalière, je peux aussi bien argumenter sur les deux fronts. Parce que, en tant que comportementaliste animalière, je suis réellement entrée dans le psychisme de ces animaux. J’ai appris à mieux les connaître en tant qu’entités vivantes, en tant qu’êtres vivants, et j’ai pu les voir comme des êtres sensibles.
En tant que scientifique, j’ai pu constater l’absurdité d’utiliser ces animaux pour la recherche scientifique. Je pense que l’on doit réellement adopter une double approche. Jusqu’à maintenant, c’est l’argument moral qui a été essentiellement utilisé. L’argument scientifique commence à pointer le bout de son nez, mais il doit être désormais davantage exposé. Nous devons informer le grand public sur le fait que ces animaux ne sont pas juste d’adorables petits chiots ou d’adorables petits lapins. Mais qu’ils sont en réalité des animaux totalement sensibles et conscients et que faire des expériences sur eux en tant que système biologique ne peut en rien renseigner sur les pathologies humaines.