Entretien avec Neal Barnard
Source :
http://www.antidote-europe.org/nbn24_fr.htm
Le Docteur Neal Barnard est leader dans le domaine de la recherche, la nutrition et la médecine préventive. Il enseigne la médecine à l’Université George Washington, où il a fait ses études et son internat. Il a exercé à l’hôpital St-Vincent, à New York. Il est membre à vie de l’Association médicale américaine. Ses recherches ont été citées par l’Association américaine du diabète et l’Association américaine de diététique dans des déclarations officielles sur les régimes sains. Il a lancé le « Cancer Project » qui fournit de l’information sur la nutrition pour la prévention du cancer et l’accompagnement des patients, ainsi que le Washington Center for Clinical Research, un centre de recherche sur la nutrition.
En 1985, il a fondé PCRM (Comité de médecins pour une médecine responsable), association d’envergure nationale regroupant des médecins et autres personnes pour promouvoir la médecine préventive et intervenir dans les débats concernant la médecine moderne.
Il est rédacteur en chef de la revue Nutrition Guide for Clinicians et auteur de plus de 15 livres sur la nutrition et la santé pour le grand public. Ses articles ont été publiés dans de très prestigieuses revues scientifiques telles que Diabetes Care, American Journal of Clinical Nutrition, American Journal of Medicine, Pediatrics, Journal of the American Dietetic Association, Scientific American, American Journal of Cardiology, Obstetrics & Gynecology, Lancet Oncology, Preventive Medicine, etc. Il fait partie du comité de lecture de nombreux journaux médicaux.
Il donne de très nombreuses conférences scientifiques et médicales. Il est aussi très fréquemment interviewé par les médias grand public sur des sujets de nutrition et santé. Il a été l’invité de nombreuses émissions de grande audience telles Oprah, Ellen, Today, Good Morning America, The Early Show, etc.
Antidote Europe (AE) : Pouvez-vous dire à nos lecteurs comment vous avez réussi à créer une organisation avec plus de 8.000 médecins membres ? Et pourriez-vous décrire votre parcours depuis vos succès en psychiatrie jusqu’à la prescription de régimes végétariens pauvres en lipides ?
Neal Barnard (NB) : J’ai commencé à exercer en 1985 dans un hôpital à New York. Je dirigeais une unité de psychiatrie mais j’assurais aussi beaucoup de consultations médicales. J’ai réalisé que les médecins font généralement un excellent travail de diagnostic et, parfois, nous sommes efficaces pour traiter les maladies. Mais nous étions -et sommes toujours- épouvantables quand il s’agit de prévention. Nous ne faisons rien au sujet d’une possible attaque cardiaque tant que le patient n’est pas amené par la porte des urgences. C’est pareil pour le cancer, le diabète, l’hypertension, l’obésité et tant d’autres problèmes qui provoquent beaucoup de souffrance. J’ai senti qu’il était temps pour les médecins de se faire les avocats de la prévention et, en particulier, de la nutrition.
Parallèlement, les problèmes éthiques dans la recherche ont commencé à me préoccuper. Des violations des droits des personnes dans la recherche sur l’homme avaient été en cause plusieurs fois, peut-être de façon la plus évidente dans l’étude Tuskeegee où des hommes noirs atteints de syphilis avaient été laissés sans traitement. Et les expériences sur des animaux se faisaient sans presque aucune réglementation. Il fallait que les médecins s’expriment.
AE : En 2003, l’Institut national de la santé vous a alloué une bourse de recherche de 350 000 dollars pour étudier l’effet d’un régime végétarien pauvre en lipides sur le diabète. Pourriez-vous nous résumer les résultats de cette étude et les réponses que vous avez reçues du corps médical ?
NB : Le régime que nous avons testé était (1) végétarien, (2) pauvre en graisses et (3) à index glycémique bas (ce qui signifie qu’il était riche en haricots, pâtes, fruits et autres aliments qui tendent à ne pas trop perturber le taux de glucose dans le sang). Sur 99 personnes atteintes de diabète de type 2, nous avons comparé ce régime avec un régime plus conventionnel incluant une limitation calorique, etc. Le régime végétarien s’est montré plus efficace pour aider les volontaires à perdre du poids et améliorer leurs taux de glucose et de cholestérol. Plusieurs personnes ont pu réduire leurs doses de médicaments et certaines les ont complètement abandonnés. Ceci étant accompli sans exercice physique ni limites sur les quantités que l’on pouvait manger, les patients l’ont trouvé étonnamment facile. Les résultats ont été publiés dans Diabetes Care, l’American Journal of Clinical Nutrition et d’autres journaux.
Depuis, PCRM a mis les détails de ce régime sur son site internet. J’ai préparé un livre pour montrer au grand public comment adopter ce régime par soi-même et j’espère que les gens essaieront. L’Association américaine du diabète mentionne à présent notre approche dans ses recommandations de pratique clinique, donc, un régime végétarien est apparemment devenu une pratique courante.
AE : Votre organisation a joué un rôle primordial dans la suppression de l’utilisation d’animaux pour les études de médecine humaine. Grâce à vos efforts dans ce domaine, les Etats-Unis seront probablement le premier pays au monde à supprimer complètement cette pratique. Pourriez-vous nous expliquer votre stratégie, qui pourrait servir de guide pour d’autres organisations ayant le même but dans d’autres pays ?
NB : Quand j’étais à l’école de médecine, on a dit à notre classe de pharmacologie qu’elle allait participer à une expérience sur des chiens. Chaque groupe de quatre étudiants devrait administrer plusieurs médicaments à un chien vivant et enregistrer les effets physiologiques, après quoi le chien serait tué. J’ai trouvé la suggestion à la fois contraire à l’éthique et totalement inutile, car nous avions déjà eu des cours sur ces médicaments et nous savions déjà comment ils agissaient. Pour faire court, j’ai refusé de faire cette expérience mais j’ai quand même fourni les résultats et je fais à présent partie des responsables de cette école de médecine, laquelle a plus tard supprimé ces expériences sur le chien.
Quand j’ai lancé PCRM, je sentais que ces expériences devaient vraiment être remplacées. Nous avons commencé tout simplement en diffusant de l’information sur les méthodes alternatives aux étudiants en médecine, grâce à des conférences et par courrier. Ceci a amené beaucoup d’étudiants à réclamer des alternatives et à se plaindre des expériences sur des animaux auprès de leurs professeurs. Dans plusieurs écoles, ces démarches ont suffi. L’Association américaine d’étudiants en médecine a aussi été très intéressée à plaider pour les étudiants qui ne voulaient pas être obligés de participer à ce qu’ils considéraient être une expérience contraire à l’éthique. Certaines écoles, malheureusement, ont été très lentes à aller vers le changement. Dans ces cas-là, nous avons travaillé avec les administrateurs dans la mesure du possible et, pour les plus récalcitrants, nous avons soutenu une campagne médiatique pour permettre au public de peser dans ce débat. Ca a été très efficace. Presque toutes les écoles de médecine aux Etats-Unis ont désormais abandonné les expériences sur des animaux pour l’enseignement. Ce résultat a aussi été acquis pour des cours de médecine d’urgence.
AE : Que considérez-vous être votre plus grand succès et pourquoi ?
NB : Nous sommes encore loin de pouvoir définir le couronnement de nos efforts. En réalité, notre travail ne fait que commencer. Les populations américaines et européennes sont dans leur pire forme physique, avec des niveaux désastreux d’obésité et autres problèmes de santé. Et, tandis que nous travaillons dur pour inverser ces tendances, de mauvaises habitudes alimentaires -régimes carnés, trop chargés en fromage- sont en train de se répandre en Asie et ailleurs, avec les épidémies de diabète et de maladies cardiovasculaires qui s’en suivent. D’un autre côté, les personnes qui améliorent leur régime alimentaire sont plus nombreuses que jamais. Il est essentiel de trouver des méthodes de plus en plus créatives pour aider les gens à adopter des habitudes saines. L’étique envers les humains et les animaux progresse lentement. Beaucoup pensent encore que l’on peut traiter les animaux comme s’il s’agissait de morceaux de bois. J’espère que les nouvelles connaissances scientifiques sur la sensibilité animale -leurs modes de communication complexes, bien sûr, et aussi malheureusement leur capacité à ressentir une souffrance aiguë dans un environnement stressant- va pousser les scientifiques à comprendre que nous devons remplacer l’expérimentation animale par d’autres méthodes de recherche le plus rapidement possible.
AE : Merci beaucoup pour le temps que vous avez consacré à cette interview. Avez-vous des remarques finales ou autres commentaires que vous voudriez partager avec nos lecteurs ?
NB : Nous apprécions beaucoup de comparer des données avec d’autres organisations et de travailler ensemble. Invitez vos lecteurs à visiter notre site (www.PCRM.org) et à travailler avec nous.