La fuite des cerveaux, aussi une question…

…de conscience !

Source : http://www.atra.info/pdf/atra_orzo_122_FRA%20w.pdf

Valentina, une chercheuse de Zurich, nous a contactés pour nous raconter son problème humain et professionnel. Il ne s’agit que de l’un des nombreux cas que nous avons suivis et qui démontre combien la recherche en Suisse ne perd pas de «cerveaux» à cause du manque d’argent, comme cela se passe ailleurs, mais pour des raisons d’éthique. L’ATRA se bat depuis des années pour une reconnaissance juridique du droit légitime à l’objection de conscience contre les dissections dans les facultés des sciences, un droit qui est systématiquement bafoué, avec des conséquences graves pour l’avenir de cette même recherche.

Je m’appelle Valentina, j’ai passé ma licence en chimie en Italie en 2005.Après ma licence, obtenue grâce à plusieurs bourses d’études, j’ai passé 3 ans dans plusieurs sociétés de recherche italiennes en me spécialisant dans le secteur de la radiochimie. En 2008 j’ai eu la « chance » d’être sélectionnée pour un Doctorat de recherche (Phd) dans un groupe de radio-pharmacie du Département de sciences pharmaceutiques du Polytechnique ETH de Zurich. Mon objectif était d’acquérir une certaine expérience en radiochimie. Ce groupe est l’un des plus renommés en Europe dans le secteur de la radiochimie appliquée à la production de substances destinées à la radiologie (secteur en très grand développement dans le domaine du diagnostic et de la thérapie des tumeurs).Malgré de sérieux doutes sur la recherche pharmaceutique (les grandes et puissantes holding pharmaceutiques se sont toujours distinguées par leurs méthodes sans scrupules pour contrôler et imposer leur propre hégémonie une grande partie de la production de produits médicaux, mais pas seulement), j’ai décidé d’accepter ce poste : un Phd en radiochimie au sein de l’ETH de Zurich pouvait me permettre par la suite de poursuivre ma carrière et de préserver mes intérêts dans le domaine de la radioprotection et du contrôle des activités nucléaires.

C’est ainsi que j’ai entamé mon expérience dans le département de radiopharmacie ; la charge de travail et l’engagement requis ont toujours été considérables, mais j’ai toujours donné mon maximum, sacrifiant même une grande partie de mes week-ends et dépassant les horaires de travail. J’ai toujours travaillé avec enthousiasme et l’étude de la science dans toutes ses applications m’a toujours passionnée.

Après un peu plus d’une année, les succès que j’obtenais avec la synthèse de certains produits faisant l’objet de mon projet de recherche se sont soudainement retournés contre moi. Alors que j’approchais de la production de deux substances intéressantes, ma responsable me dit que je devrais m’inscrire à un cours afin d’acquérir la capacité et la compétence de pouvoir expérimenter mes produits sur des cobayes de laboratoire. Cette requête m’a laissée plutôt surprise. Je dois préciser que j’étais au courant du fait que de la vivisection était pratiquée dans mon groupe de recherche; je suis entrée en contact avec le monde pharmaceutique (je collaborais avec une société pharmaceutique très connue et puissante) et avec sa dynamique et ses méthodes. Comme je l’ai déjà dit, j’étais plutôt réticente avant d’accepter le poste de Phd, mais je pensais, et là je ne peux que m’accuser de superficialité, que j’aurais pu supporter de travailler 3 ans dans un groupe pharmaceutique si cela m’avait permis d’apprendre et d’acquérir la théorie et les techniques de la radiochimie. J’escomptais qu’en tant que chimiste je n’aurais jamais affaire à la vivisection.
N’ayant pas été informée de cela lors de l’entretien d’embauche, j’étais certaine que cela ne pourrait pas faire partie de mon travail. Par ailleurs, je n’avais jamais caché à mes collègues que j’étais végétalienne et que j’avais à cœur le bien-être des animaux.
Je n’ai pas hésité à dire à ma responsable que jamais je ne ferais de tels tests. J’ai fait exprès d’éviter toute discussion de type éthique et scientifique sur la vivisection, insistant par contre sur le fait qu’une telle activité m’aurait fait souffrir au point que je n’aurais rien pu faire.
Après des entretiens pacifiques avec plusieurs responsables, une rencontre a été décidée avec mon chef et le vice- président afin de « trouver une solution ». Le fait que personne ne m’ait informée lors de mon entretien d’embauche que cela ferait partie de mon travail (ni n’avait été mentionné dans mon contrat), y compris que le fait que j’ai toujours montré que j’étais digne de confiance et que j’avais toujours eu un comportement sérieux et professionnel, il était très difficile de m’accuser d’un quelconque manquement pouvant justifier mon licenciement. Pourtant, c’est ce que mon chef m’a déclaré sans hésitation :

« Nous ne faisons aucune exception et nous ferons appel demain au bureau de gestion des doctorats afin de mettre fin à votre contrat ».

J’avoue que la chose m’a bouleversée et sur le moment j’étais convaincue que la question pourrait être résolue sans licenciement. Le jour suivant je suis retournée travailler en poursuivant mes travaux de laboratoire. J’attendais des nouvelles de mes supérieurs sur la manière dont ce problème allait être résolu. Je n’ai reçu aucune nouvelle de toute la journée et jusqu’à l’heure de mon départ, lorsqu’une collègue est venue m’informer que des mesures avaient été prises à mon encontre, sans justification et surtout sans en avoir été prévenue. Après ce qui s’était passé ce jour-là, ce qui m’ôta le moindre doute sur le fait que je devais absolument quitter mon poste fut que lors d’une réunion au cours de laquelle les dirigeants convoquèrent
les chefs des diverses équipes ainsi que plusieurs chercheurs, il fut décidé d’annuler mon badge d’accès aux laboratoires et d’informer mes collègues de m’éloigner au cas où ils me verraient à proximité des laboratoires.
La raison ? Il y avait un risque que je revienne pendant la nuit pour libérer les animaux du laboratoire !
Je n’ai pas été informée de toutes ces mesures de sécurité, je n’ai reçu aucune notification, ni verbale ni écrite. J’étais désormais étiquetée comme une dangereuse animaliste. Il m’est pénible de me souvenir de ce moment et mes nerfs ont craqué.Après tout le sérieux que j’avais montré depuis le début de mon engagement à l’ETH, voilà qu’on perdait du temps à me discréditer avec des accusations absurdes.

Quelques précisions sont nécessaires :

1. Parmi les animaux que j’étais sensée « voler » dans les laboratoires il y avait une trentaine de rats et de souris transgéniques avec une tumeur provoquée au stade terminal, qui étaient de toute façon destinés à mourir dans les jours suivants.

2. Il faut un badge pour pouvoir accéder aux laboratoires. Ce badge est personnel et le nom de son porteur est enregistré dans l’ordinateur (il serait donc stupide d’entrer et de voler les animaux en espérant ne pas être découvert !)

3. Je ne suis pas une voleuse et encore moins une terroriste, et bien que j’observe certaines valeurs éthiques, que tout le monde ne partage pas forcément, je ne pense pas que des actions illégales soient une solution.

Je suis cependant presque certaine que personne de mon groupe ne pensait que je puisse agir de la sorte ; je pense par contre que c’était une manœuvre pour m’isoler et du moins pour me pousser à partir de moi-même. Je dois dire que l’isolement a fonctionné : au bout de quelques jours j’ai perdu contact avec presque tous mes collègues et j’ai aussitôt cessé de fréquenter le laboratoire. Une consultante du centre mobbing de Zurich m’a catégoriquement déconseillé de retourner à mon poste de travail.
J’ai passé un mois infernal, loin de ma famille mais heureusement entourée d’amis qui m’ont soutenue et qui ont approuvé mon choix. C’est grâce à eux que j’ai tenu le coup et j’ai décidé de donner mon congé : je me suis adressée au médiateur de l’Institut et j’ai consulté un avocat. Tous deux m’ont aidée à formuler les termes de mon congé.

Je ne regrette pas d’avoir renoncé à cet emploi ; la mentalité était clairement trop difficile à accepter pour moi, pas seulement pour le problème de la vivisection : le monde de la recherche pharmaceutique a généré chez moi de nombreux doutes et réflexions.Mon sentiment (tout à fait personnel) est qu’il n’existe aucune éthique dans ce type de recherche et que celle-ci ne repose que sur la cupidité et la recherche de succès. Je ne suis pas du genre à avaler des médicaments, mais j’ai toujours pensé que la médecine avait des objectifs nobles et qu’elle était fondamentalement bonne… je le crois toujours, mais j’estime que les objectifs de ceux qui gèrent ce type de recherche n’ont rien de noble ni qu’ils ont un bon esprit. Qu’il suffise de voir la concurrence impitoyable que se font les sociétés pharmaceutiques au lieu d’unir leurs forces, de partager leurs connaissances afin d’atteindre des objectifs communs et de trouver des remèdes pour soigner des maladies qui sont encore inguérissables. Comment la médecine peut-elle être bonne si elle doit se soumettre aux lois du marché ? Je pense que beaucoup de gens bien et motivés luttent tous les jours et s’engagent profondément dans la recherche médicale, mais que le système pharmaceutique reste soumis au dieu argent et qu’il n’existe rien de moins éthique ni rien qui puisse avilir la recherche comme l’argent.

Tout cela ne se serait sans doute pas produit s’il existait dans notre Suisse civilisée et évoluée une loi qui réglemente l’objection de conscience pour les étudiants ou les chercheurs qui ne souhaitent pas découper des animaux. Je serais heureuse que mon expérience personnelle puisse servir d’avertissement pour tous ceux qui seront un jour appelés à prendre une décision au niveau législatif sur ce sujet.

VALENTINA MAURI
DOCTEUR EN CHIMIE

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