Les singes de laboratoire souffrent-ils de dépression ?
En France, se pose-t-on seulement la question ?
Traduction d’un article (c) BBC News
Brian Wheeler, journaliste politique – 31 juillet 2014
Des singes qui n’ont jamais rien connu d’autre apprécient-ils vraiment de subir des expériences répétées sur le cerveau ? Le Home Office (ministère britannique de l’Intérieur) étudie actuellement cette question qui paraîtra absurde à bien des gens.
L’idée d’implanter des électrodes dans les yeux ou de procéder à une ablation partielle du cerveau de nos plus proches cousins du règne animal, que chacun sait capables d’émotions et de sentiments complexes, les réduisant ainsi à l’état de matériel expérimental pour les chercheurs, semble répugnante.
Les chercheurs rétorquent qu’il s’agit du seul moyen pour qui espère trouver des traitements pour la maladie de Parkinson et autres pathologies et tester de nouveaux médicaments d’une importance vitale. Le Home Office évalue la « sévérité » (d’aucuns diront la cruauté) des projets d’expérimentation avant d’accorder les autorisations.
Mais récemment encore, personne ne s’inquiétait vraiment de savoir comment les singes supportaient les expériences répétées (certains peuvent en subir jusqu’à une dizaine sur plusieurs années), ni quel était l’impact psychologique d’une vie passée en laboratoire.
Les chercheurs expliquent que la plupart des singes, qui ont été élevés et entraînés pour les activités de laboratoire, n’opposent aucune résistance quand vient l’heure des expériences. Faut-il donc y voir l’expression de leur « consentement » ?
« Des problèmes de comportement »
Trouvent-ils l’expérience positive ? Ou leur passivité est-elle la manifestation d’une grave dépression ?
Les réponses données à ces questions pourraient avoir des conséquences d’une portée considérable pour l’avenir de l’expérimentation animale au Royaume-Uni.
Une directive de l’UE entrée en vigueur en 2013 oblige les instances réglementaires à ne pas considérer chaque expérience séparément mais à envisager plutôt l’impact à vie des expériences réalisées sur les primates.
La directive précise que « la nature et l’intensité de la douleur, de la souffrance, de l’angoisse ou du dommage durable causé par (tous les éléments de) la procédure, à savoir l’intensité, la durée, la fréquence et la multiplicité des techniques utilisées », doivent être prises en compte avant de délivrer les autorisations d’expérimenter.
Quelques mois plus tard pourtant, la publication d’une étude sans précédent sur la vie des singes de laboratoire soutenait qu’il y avait « peu d’éléments » pour soutenir cette approche.
Le Dr John Pickard de la faculté de neurochirurgie de l’université de Cambridge a étudié pendant 10 ans avec son équipe des tests non commerciaux sur des ouistitis et des macaques, de loin l’espèce la plus couramment utilisée dans les laboratoires de recherche britanniques où, depuis 1997, il est interdit d’utiliser des grands singes et des orangs-outans.
Pour eux, les inquiétudes concernant l’impact des procédures répétées, telles que les implants cérébraux, les électrodes dans l’œil, l’application d’une contrainte prolongée et la privation d’eau et de nourriture, parmi bien d’autres choses, ont été exagérées.
« Euthanasiés »
« Les gens de la rue auront peut-être du mal à croire le fait que ces procédures prolongées puissent être faites sans cumul de sévérité (négative). Le public ignore généralement en quoi consistent réellement les expériences sur les primates », estime le rapport.
« De plus en plus souvent, par exemple, les animaux sont sélectionnés pour les procédures de recherche auxquelles ils sont adaptés et qu’ils peuvent supporter. Les animaux qui ne sont pas aptes ne sont donc pas exposés à une période d’entraînement prolongée. »
Le nombre total de procédures a augmenté de 0,03% entre 2012 et 2013.
D’après le rapport, les 234 animaux impliqués dans l’étude réalisée dans des universités britanniques et de l’UE étaient globalement bien traités et n’avaient pas été enlevés à leur mère avant l’âge recommandé par le Home Office.
Les animaux qui refusaient d’être soumis aux procédures repartaient pour une nouvelle session d’entraînement. Dans un petit nombre de cas, des primates n’ayant pas pu supporter les expériences ont été euthanasiés.
Ainsi, il a fallu « euthanasier » un macaque qui présentait « de graves problèmes de comportement » dont une « stéréotypie » (répétition d’actions nerveuses de type balancement).
Le rapport ajoute que chez les animaux ayant subi une ablation partielle du cerveau, « des crises d’épilepsie ont été observées dans un certain nombre de cas ».
Détresse physique
Le rapport Pickard énonce des solutions pour améliorer le bien-être des singes utilisés pour la recherche et suggère d’étendre l’utilisation de systèmes de télévision en circuit fermé pour surveiller les comportements.
Ce document a pourtant été accueilli avec consternation par les militants pour les droits des animaux qui ont estimé que la souffrance des primates dans les laboratoires saute aux yeux et qu’elle est moralement condamnable.
Le comité indépendant qui a diligenté le rapport Pickard n’existe plus désormais, mais son successeur, le Comité pour les animaux utilisés à des fins scientifiques (ASC) a rejeté plusieurs de ses conclusions.
Dans un rapport publié cette semaine, le comité ASC a estimé que le rapport Pickard « s’est très largement penché » sur les manifestations physiques de la détresse, telles que la perte de poids, et pas assez sur les manifestations émotionnelles et psychologiques.
Le nouveau rapport a estimé que l’acceptation apparente des primates à participer à des tests comportementaux ne doit pas être considérée comme le signe que l’expérience est positive pour eux. Ils peuvent en effet souffrir d’un état dit de « résignation acquise » – une forme de dépression clinique souvent observée chez les rongeurs soumis à des décharges électriques répétées. Au bout d’un moment, les rongeurs ne cherchent plus à éviter les décharges, même quand ils le peuvent.
Le Home Office finance des recherches pour étudier si les singes de laboratoire souffrent de dépression.
Le gouvernement britannique s’est engagé à réduire le nombre de tests réalisés au Royaume-Uni sur des animaux vivants. Ministre chargé de délivrer les autorisations d’expérimenter sur des animaux, Norman Baker a déclaré qu’il souhaitait une interdiction globale tout en sachant qu’elle ne sera pas pour demain.
« Des dommages graves »
L’enjeu est de taille. En effet, plus de 4 millions de procédures sont réalisées chaque année au Royaume-Uni, sur des souris, des poissons et des rats le plus souvent, les expériences sur les primates représentant moins de 0,5%.
Cette semaine, le comité ASC a annoncé une enquête récente concernant « les expériences à vie » sur des primates utilisés pour la recherche en neurologie.
Norman Baker, ministre libéral-démocrate, veut interdire toute forme d’expérimentation animale.
Dans un courrier qu’il lui a adressé, le Dr John Landers a fait part de l’intention du comité ASC, dont il est Président, de « revoir » les conclusions du rapport Pickard et de créer un nouveau « Groupe d’étude sur les Dommages/Bénéfices ».
Barney Reed, directeur scientifique de la Société Royale pour la Prévention de la Cruauté sur les Animaux (RSPCA), est enchanté par ce revirement.
Il estime que le rapport Pickard nous a expliqué « comment les neurologues eux-mêmes perçoivent l’impact de leurs travaux sur les primates plutôt que de donner des informations pertinentes sur les niveaux réels de souffrance endurés par ces animaux remarquables et doués d’une grande sensibilité ».
Le rapport a, selon lui, « systématiquement sous-estimé » les « dommages significatifs et graves qui peuvent être causés aux primates au nom de la recherche en neurologie ».
Et d’ajouter : « La RSPCA est satisfaite que le comité ASC pour les animaux utilisés à des fins scientifiques ait reconnu les défauts majeurs du rapport Pickard concernant la méthodologie et l’interprétation des éléments fournis par les chercheurs sur des primates.
« Malgré ces graves imperfections, le rapport Pickard formule certaines recommandations valables sur la reconnaissance et l’évaluation de la souffrance ainsi que sa réduction et prône une meilleure compréhension du comportement des primates par les chercheurs.
« La RSPCA considère que la plupart de ces aspects devraient déjà être pratique courante et qu’il faut aujourd’hui les mettre en œuvre sans tarder. La RSPCA est parfaitement d’accord avec l’ASC sur le fait qu’une révision des recommandations s’impose et qu’elles doivent viser des organismes particuliers et des rôles spécifiques. Elle estime aussi que ces recommandations doivent instaurer des repères et des mesures de réussite au risque de passer purement et simplement inaperçues. »