Tests cosmétiques sur les animaux : encore au 21ème siècle ?

La Commission européenne a défini un cadre juridique pour interdire dans les faits l’utilisation d’animaux pour les tests de produits cosmétiques. Selon le 7ème amendement à la Directive Cosmétiques de 1976, aucun test sur les animaux et aucune importation de cosmétiques testés sur les animaux ne seront plus autorisés au sein de l’Union européenne après mars 2013. Par conséquent, il est choquant et regrettable de constater les manœuvres actuelles de la CE visant à reporter l’échéance de 2013 à 2019. Ces agissements constituent une trahison de la confiance du public et une tentative perverse d’ignorer les méthodes de tests sans animaux disponibles.

(Cyber action ici)

 

Contribution du Docteur André Ménache :

http://www.international-campaigns.org/ic/action/tomperie.htm

Article d’André Menache, directeur d’Antidote Europe et notamment Conseiller scientifique d’International Campaigns

Après des années de campagnes par les organisations de défense animale, le 7ème amendement de la Directive européenne sur les cosmétiques a été salué comme un accomplissement stratégique et un jalon important vers le remplacement des animaux dans les tests de cosmétiques. Apparemment, le 7ème amendement trace la route vers une interdiction de tester sur des animaux les produits cosmétiques finis à partir du 11 septembre 2004, suivie d’une interdiction de tester les ingrédients ou les combinaisons d’ingrédients à partir du 11 mars 2009. Enfin, un objectif bien plus large d’interdiction de commercialiser les cosmétiques testés sur des animaux doit prendre effet en 2013, rendant impossible la vente dans l’Union européenne (UE) de produits cosmétiques testés ailleurs sur des animaux.

La perception du public sur cette législation obtenue de haute lutte est que l’interdiction de tester allait remplacer tous les tests de toxicité utilisant des animaux en mars 2009, à l’exception de trois catégories de tests (toxicité à doses répétées, toxicocinétique et toxicité pour la reproduction). En fait, d’après des déclarations officielles de la Commission européenne (CE) : « L’interdiction de tester les produits cosmétiques finis est en vigueur depuis le 11 septembre 2004, tandis que l’interdiction de tester les ingrédients ou les combinaisons d’ingrédients sera implémentée au fur et à mesure que des méthodes alternatives seront validées et adoptées ; toutefois il y aura une date butoir maximum de six ans après l’entrée en vigueur de la directive, c’est-à-dire 11 mars 2009, que des méthodes alternatives aux tests sur des animaux soient disponibles ou non. »

« L’interdiction de commercialisation s’appliquera étape par étape dès que des méthodes alternatives auront été validées et adoptées par la législation européenne, dans le respect du processus de validation de l’OCDE. Cette interdiction de commercialisation sera introduite au plus tard six ans après l’entrée en vigueur de la directive, c’est-à-dire le 11 mars 2009, pour tous les effets sur la santé humaine à l’exception de la toxicité à doses répétées, la toxicité pour la reproduction et la toxicocinétique. Pour ces effets spécifiques sur la santé, un délai de 10 ans après l’entrée en vigueur de la directive est accordé, c’est-à-dire le 11 mars 2013, que des méthodes alternatives aux tests sur des animaux soient disponibles ou non. » (1)

Pour donner une idée de la variété de tests de toxicité traditionnellement effectués sur des animaux, voici une liste de tests de toxicité requis par la réglementation pour les produits cosmétiques (2) :

1. Toxicité aiguë
2. Irritation cutanée
3. Irritation oculaire
4. Allergie cutanée
5. Absorption/pénétration cutanée
6. Toxicité subaiguë et subchronique
7. Génotoxicité et mutagénicité
8. Effets toxiques des UV
9. Toxicocinétique et métabolisme
10. Carcinogénicité
11. Toxicité pour la reproduction et le développement

En 2005, 5571 animaux ont été officiellement utilisés dans l’UE pour tester des cosmétiques.

Contexte historique

Une campagne de poids pour abolir l’utilisation d’animaux dans les tests de cosmétiques a été lancée en 1980 par Henry Spira. Ce dernier a fait paraître une publicité sur une pleine page du New York Times avec pour titre : « Combien de lapins Revlon rend-il aveugles pour la beauté ? » Revlon a répondu à cette publicité par une promesse de don de trois quarts de million de dollars pour le financement de méthodes alternatives aux tests sur des animaux. Revlon a vite été rejoint par Avon, Bristol Meyers, Estée Lauder, Max Factor, Chanel et Mary Kay. Ce financement a donné lieu à la création du Centre pour les alternatives aux tests sur des animaux (CAAT) à Baltimore, Etats-Unis, en 1981 (4).

Les obstacles au progrès

Alors que les Etats-Unis étaient ainsi bien placés pour développer des méthodes alternatives aux tests sur des animaux, ils ont pris du retard par rapport à l’Europe où la réglementation oblige à utiliser les méthodes alternatives. Ainsi, bien que le CAAT existe depuis 1981, on ne peut que se demander : « qu’a-t-il accompli en 30 ans ? »

Ironiquement, bien que l’UE ait un mécanisme légal en place pour obliger à l’utilisation de méthodes alternatives, elle n’a pas accompli beaucoup plus que les Etats-Unis en termes de remplacement des tests sur des animaux pour les cosmétiques. D’après l’article 7.2 de la directive 86/609/CEE : « Il ne sera pas effectué d’expérience s’il existe une possibilité raisonnable et pratique d’avoir recours à une autre méthode scientifiquement acceptable et n’impliquant pas l’utilisation d’un animal pour obtenir le résultat recherché. »

La réponse de la CE à l’article 7.2 a été de créer le Centre européen pour la validation des méthodes alternatives (CEVMA -ECVAM en anglais-) en 1992. Depuis sa création, ECVAM est handicapé par un manque de ressources financières et humaines (5). Le principal but d’ECVAM est de « coordonner la validation de méthodes de tests alternatives [aux tests sur des animaux] au niveau de l’Union européenne » (6). A ce jour, ECVAM a validé environ 30 méthodes alternatives, la plupart desquelles continuent à dépendre d’animaux vivants (par exemple, l’utilisation des souris pour tester la sensibilisation cutanée) ou de produits animaux (par exemple la méthode de l’oeil de poulet isolé). Certaines méthodes validées utilisent des cellules humaines mais dépendent néanmoins de produits animaux pour maintenir les cellules en vie (par exemple, le test d’activation des monocytes qui remplace un test fait sur des lapins vivants mais qui utilise du sérum de veau foetal pour maintenir en vie les globules blancs humains, alors qu’un milieu de culture sans sérum de veau pourrait être utilisé).

Validation : un goulot d’étranglement

Il devrait paraître évident à présent que les obligations légales pour valider chaque méthode alternative est une mission impossible car le système ne peut pas y faire face. De plus, il y a quelques questions fondamentales auxquelles il faudrait répondre. Premièrement, les références d’ECVAM pour la validation d’une nouvelle méthode sont des données obtenues sur des animaux et non des données humaines. Deuxièmement, les tests sur des animaux n’ont eux-mêmes jamais été soumis au processus officiel de validation. Cette situation ridicule a même été pointée du doigt par un ancien directeur d’ECVAM mais l’avertissement a été ignoré par la CE (7). Troisièmement, le public a été amené à croire que le terme « alternative » signifiait « méthode sans animaux », ce qui est faux. Bien que le mot « alternative » fasse référence aux 3Rs (réduction, perfectionnement -refinement, en anglais-, remplacement), en réalité, la catégorie « remplacement » n’existe presque pas, comme nous l’avons démontré ci-dessus.

Ecarter les obstacles

1. Prioritisation des fonds

Le 19 juillet 2010, la commissaire Maire Geoghegan-Quinn annonçait que près de 6,4 milliards d’euros de la CE allaient être investis dans la recherche et l’innovation (8). Il est clair qu’il n’y a pas de pénurie dans l’UE pour promouvoir la recherche et l’innovation. Pour sûr, le remplacement de tests obsolètes sur des animaux par des méthodes modernes devrait être une priorité ? L’utilisation de méthodes modernes en remplacement des tests sur des animaux apporterait un grand nouveau souffle à l’évaluation des médicaments, des substances chimiques industrielles (REACH) et des cosmétiques. Ceci est particulièrement pertinent par rapport aux économies potentielles dans les budgets de santé dans le cadre du règlement REACH. D’après une évaluation d’impact réalisé par la CE, les bénéfices de REACH pour le budget de santé publique pourraient atteindre les 50 milliards d’euros en 30 ans (9).

2. Supprimer le goulot d’étranglement de la validation

La validité des tests sur des animaux ne résiste pas à un examen scientifique sérieux. Il y a pléthore de preuves indiquant que les tests sur des animaux ne permettent pas de prédire de façon fiable les réactions humaines (10-24). Bien que le concept de validation soit juste, le processus est lent, compliqué et repose largement sur des données animales. La voie du progrès est le remplacement de la validation par une approche basée sur le poids des preuves. Cette approche est proposée dans REACH (Annexe XI, article 1.2) et d’autres documents scientifiques (25,26).

3. Appliquer une stratégie de tests par étapes

D’un côté, les tests sur des animaux sont inefficaces. De l’autre, aucun test individuel n’est prédictif pour tous les humains. Par conséquent, il est nécessaire d’adopter une stratégie de tests par étapes, ainsi que le propose le Conseil national de la recherche des Etats-Unis (NRC) dans son document « Tests de toxicité au XXIe siècle : une vision et une stratégie ». Ce document fait référence à la biologie humaine et au criblage à haut débit (27). L’une des composantes clés de cette stratégie est l’utilisation de la toxicogénomique avec des cellules humaines.

4. Toujours préférer les données humaines aux données animales

Nous sommes confrontés au choix entre des données humaines incomplètes (= pertinentes pour l’homme) et des données animales complètes (= majoritairement sans pertinence pour l’homme). Si l’on se fonde sur ce qui précède, il devrait être clair que les données humaines sont toujours préférables aux données animales. Une stratégie de tests par étapes effectués sur du matériel humain sera toujours plus prédictive pour l’homme que des données animales. Il est essentiel de ne pas assimiler ou confondre le concept de prédiction, en sciences, avec celui d’analyse rétrospective. Le domaine de la réglementation en toxicologie a trop souvent fait cette confusion (28).

Conclusion

Il n’y a pas d’excuse pour retarder l’implémentation de méthodes modernes en remplacement des tests de toxicité sur des animaux. La mise en oeuvre d’une stratégie de tests par étapes sur du matériel humain et la compilation de données humaines aura toujours plus de valeur que les tests obsolètes sur des animaux. Une approche basée sur le poids des preuves peut permettre d’accélérer la validation de méthodes basées sur des données humaines. Le financement d’une telle stratégie est un impératif politique. La science a déjà fait les progrès nécessaires. Nous devons donc rejeter et résister activement à toute tentative de la CE de retarder l’échéance pour interdire les tests de produits cosmétiques sur des animaux (29). Les tests sur des animaux devraient être interdits avant, et non après, la date fixée par la CE.

Références

1. http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=COM:2008:0416:FIN:EN:PDF
2. http://ec.europa.eu/consumers/sectors/cosmetics/files/doc/antest/(2)_executive_summary_en.pdf
3. http://ec.europa.eu/environment/chemicals/lab_animals/reports_en.htm
4. http://en.wikipedia.org/wiki/Henry_Spira
5. http://www.alttox.org/spotlight/010.html
6. http://ecvam.jrc.ec.europa.eu/
7. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/16180982
8.http://www.welcomeurope.com/news-en-%E2%82%AC6.4-billion-for-smart-growth-and-jobs-%E2%80%93-europe-s-biggest-ev-6382.html
9. http://greens.eu/cms/topics/dokbin/102/102827.are_safe_chemicals_really_too_costly@en.pdf
10. Horn, J., de Haan, R.J., Vermeulen, M., & Limburg, M. (2001). Nimodipine in animal model experiments of focal cerebral ischemia: a systematic review. Stroke 32, 2433-38.
11. Hunter, W. J., Lingk, W., & Recht, P. (1979). Intercomparison study on the determination of single administration toxicity in rats. Association of Official Analytical Chemists 62(4), 864-73.
12. Bailey, J. (2009). An examination of chimpanzee use in human cancer research. Alternatives to Laboratory Animals 37(4), 399-416
13. Balcombe, J.P., Barnard, N.D., & Sandusky, C. (2004). Laboratory routines cause animal stress. Contemporary Topics in Laboratory Animal Science 43(6), 42-51.
14. Bugelski, P.J., & Treacy, G. (2004). Predictive power of preclinical studies in animals for the immunogenicity of recombinant therapeutic proteins in humans. Current Opinion in Molecular Therapeutics 6, 10-16.
15. Chalmers, I. (2005). From a presentation for the Scottish Wellcome Trust Clinical Research Facility, Edinburgh cited on the Sabre Research UK website. Retrieved on 16 February, 2010, from http://www.sabre.org.uk/#/background/4524921993
16. Flynn, S., Satkoski, J., Lerche, N., Kanthaswamy, S. & Smith, D. 2009. Genetic variation at the TNF-alpha promoter and malaria susceptibility in rhesus (Macaca mulatta) and long-tailed (Macaca fascicularis) macaques. Infect Genet Evol 9(5):769-77.
17. Greek, C. R., & Greek, J. S. (2000). Sacred Cows and Golden Geese: The Human Cost of Experiments on Animals. New York & London: The Continuum International Publishing Group Inc.
18. Home Office response to Parliamentary Question by Michael Hancock MP. (2004). Retrieved on 16 February, 2010, from http://www.publications.parliament.uk/pa/cm200304/cmhansrd/vo040331/text/40331w06.htm
19. Knight, A. (2008). Systematic reviews of animal experiments demonstrate poor contributions toward human healthcare. Reviews of Recent Clinical Trials 3(2), 89-96.
20. Knight, A., Bailey, J., & Balcombe, J. (2006). Animal carcinogenicity studies: implications for the REACH system. Alternatives to Laboratory Animals 34 Suppl 1, 139-47.
21. Lindl, T., Voelkel, M. & Kolar, R. (2005). Animal experiments in biomedical research. An evaluation of the clinical relevance of approved animal experimental projects. Alternatives to Animal Experiments 22(3), 143-51.
22. Perel, P., Roberts, I., Sena, E., Wheble, P., Briscoe, C., Sandercock, P. et al. (2006). Comparison of treatment effects between animal experiments and clinical trials: systematic review. British Medical Journal 334, 197.
23. Pound, P., Ebrahim, S., Sandercock, P., Bracken, M.B. & Roberts, I. (2004). Where is the evidence that animal research benefits humans? British Medical Journal 328(7438), 514-7.
24. Shanks, N. & Greek, R. (2009). Animal Models in Light of Evolution. Florida: BrownWalker Press.
25. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/20390238
26. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC2709979/
27. http://www.nap.edu/catalog.php?record_id=11970
28. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/11029269
29. http://www.buav.org/a/2010/08/06/377

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