Utilitarisme : verbatim
Traduction d’un texte de Tom Regan (avril 2001) en réaction aux positions complaisantes de Peter Singer en matière de zoophilie (ou « bestialité » au sens vieilli du terme)
En 1975, le philosophe Peter Singer a publié l’ouvrage « Animal Liberation » (NDT 1). Ce livre a été (et continue d’être) présenté par beaucoup comme la « bible du mouvement pour les droits des animaux ». Ceci est à la fois faux et malheureux. Ceci est faux parce que Singer nie que les animaux puissent avoir des droits. Ceci est malheureux parce que cela donne l’impression que lorsque Singer parle, il parle au nom de ceux qui sont convaincus que les animaux ont des droits. Ce qui n’est pas son cas.
Dans ses aspirations, le mouvement pour les droits des animaux est abolitionniste. Il cherche à mettre fin à la tyrannie humaine exercée envers les autres animaux, et non pas à rendre cette tyrannie plus « humaine ». Le mouvement pour les droits des animaux œuvre à l’abolition du commerce de la fourrure, des numéros réalisés avec des animaux, de la chasse sportive, de la vivisection et de l’élevage commercial des animaux. Comme je l’ai déjà écrit par ailleurs, les objectifs du mouvement sont des cages vides, et non pas des cages plus spacieuses.
Les gens qui ne croient pas que les animaux ont des droits ne pensent pas que le monde devrait évoluer dans ce sens. Parfois, ils traitent les militants pour les droits des animaux d’« extrémistes» et de « fanatiques », quand ils n’utilisent pas des qualificatifs encore plus insultants. Mais chacun sait qu’insulter ne permet pas de résoudre les problèmes et que c’est la force des idées qui doit primer. La croyance en des droits moraux fondamentaux est au cœur du mouvement pour les droits des animaux. Pour le mouvement, la priorité est qu’humains et autres animaux soient traités avec respect, et non pas les avantages des conséquences pouvant découler de raisonner autrement.
« La fin ne justifie pas les moyens » est une vérité morale qui s’applique au-delà des frontières de notre espèce. Erronée ou pas, c’est en elle que croient ceux qui se battent pour les droits des animaux. Mais tout ceci, Peter Singer le rejette. Selon lui, ni les humains ni les animaux n’ont de droits. En tant qu’utilitariste, il croit que le bien et le mal dépendent de la quantité de satisfaction que nous tirons de nos actes. Une vision qui le conduit à accepter nombre de pratiques que les promoteurs des droits des animaux rejettent (NDT 2).
Par exemple, en raison de sa position utilitariste, il ne voit rien de mal, par principe, à ce que des animaux soient élevés pour être mangés. En effet, si les animaux d’élevage ont une existence paisible, s’ils sont tués « humainement » et s’ils sont remplacés par de nouveaux animaux qui seront traités de la même manière, la satisfaction est obtenue et aucun mal n’est fait. Aucun défenseur des droits des animaux ne peut croire en cela.
Certaines personnes pensent que la différence entre la philosophie des droits des animaux et les idées de Singer n’est qu’une question de termes. Ce n’est pas vrai. Les idées de Singer cautionnent des comportements que ceux qui croient dans les droits des animaux et ceux qui n’y croient pas trouveront consternants.
Le dernier doute est levé après avoir lu la critique récemment faite par Singer (traduction française ici) en 2001 d’un ouvrage écrit par Midas Dekkers et intitulé « Dearest Pet ». Cette critique a été publiée dans le magazine de sexe en ligne Nerve.com, dont la vocation est de prôner la « liberté sexuelle ». Dans sa critique, Singer explique pourquoi, selon sa façon de penser, avoir des relations sexuelles avec des animaux n’est pas forcément une mauvaise chose en soi. Cependant, il concède que des relations sexuelles impliquant de la cruauté envers les animaux sont mauvaises. Mais Singer de souligner que « les relations sexuelles avec des animaux n’impliquent pas toujours de la cruauté ». En fait, exercées « en privé », des « activités [sexuelles] mutuellement satisfaisantes » impliquant des animaux et des humains « se développent parfois ».
Dans ce cas, et conformément à sa philosophie utilitariste, lorsque la satisfaction est optimale, Singer n’y voit aucun mal. Aucun promoteur sérieux des droits animaux ne peut croire en cela. Aucun n’y croit parce qu’aucun d’entre eux ne s’appuie sur la norme utilitariste de Singer pour en faire sa norme morale. Comme indiqué plus haut, en tant que promoteurs des droits des animaux, nous devons voir au-delà des conséquences. Prenons l’exemple des relations sexuelles avec de jeunes enfants.
Les militants pour les droits des animaux ne déclarent pas que, exercées « en privé », il n’y a rien de mal à ce que des adultes aient des « activités [sexuelles] mutuellement satisfaisantes » avec de jeunes enfants. Au contraire, nous déclarons qu’il y a là quelque chose de mal à se livrer à de telles activités. En effet, un bébé ne peut aucun cas donner un consentement informé. Un bébé ne peut pas dire « Oui ». Ou « Non ». En la matière, avoir des relations sexuelles avec des enfants en bas âge est forcément coercitif, montre forcément un manque de respect et est forcément condamnable. Et il en va de même pour la zoophilie.
Les militants pour les droits des animaux ne déclarent pas que, exercées « en privé », des « relations [sexuelles] mutuellement satisfaisantes » entre humains et animaux ne sont pas répréhensibles. Au contraire, nous déclarons qu’il y a là quelque chose de mal à se livrer à de telles activités. En effet, un animal ne peut en aucun cas donner un consentement informé. Un animal ne peut pas dire « Oui ». Ou « Non ».
Aussi, avoir des relations sexuelles avec des animaux est forcément coercitif, montre forcément un manque de respect et est forcément condamnable. Les militants pour les droits des animaux ne rendent pas ici un hommage irrationnel à des tabous sexuels dépassés et ne font pas non plus étalage d’une quelconque pruderie sexuelle. S’engager dans des « activités mutuellement satisfaisantes » est l’un des plaisirs les plus raffinés de la vie. Plus de telles activités se produiront, mieux cela sera… à condition que ceux qui y participent puissent donner ou refuser leur consentement informé.
La recherche de la satisfaction mutuelle ne doit jamais recourir à la coercition sexuelle. Les opinions de Singer au sujet des relations sexuelles avec des animaux sont condamnées publiquement, que ce soit par « Dr. Laura », le journal The New Republic, les forums de discussion sur les droits des animaux ou des articles d’opinion dans les journaux. Et a priori, le concert de condamnations continuera, de manière tout à fait justifiée. Cependant, il faut espérer que la vérité n’en soit pas entachée. En effet, la conviction que les animaux ont des droits peut être remise en cause par de nombreux moyens, mais ne laissons personne déclarer que cette conviction est forcément mauvaise parce qu’elle cautionne les relations sexuelles avec des animaux. Manifestement et de manière catégorique, être convaincu que les animaux ont des droits ne cautionne pas de tels comportements.
Tom Regan enseigne la philosophie à la North Carolina State University. Son dernier ouvrage s’intitule « Defending Animal Rights » (« En défense des droits des animaux ) . »
1) Note 1 : « La Libération animale » est le titre de la version française publiée après relecture par le chef de file actuel de la mouvance « anti »-spéciste française.
2) Note 2 : L’utilitarisme cautionne notamment l’expérimentation animale exercée sur un certain nombre d’animaux (humains ou non) dans l’intérêt d’un plus grand nombre.