Les infiltrations
L’histoire d’un enquêteur pour les droits des animaux
Animaux, mensonges et témoignages vidéo
Traduction par International Campaigns du texte original « Animal, lies and videotapes » (magazine Arkangel N°27, début des années 2000)
Il y a, dans le mouvement pour les droits des animaux, ceux qui considèrent les enquêteurs infiltrés avec une certaine méfiance et qui les blâment pour ne pas intervenir lorsqu’ils voient un animal se faire brutaliser. Cependant, sans les preuves obtenues par ces enquêteurs, les militants ne disposeraient pas des armes nécessaires pour affronter l’industrie de la torture animale. Il faut énormément de courage et de détermination, lorsque l’on est vraiment concerné et que l’on estime qu’être présent est une nécessité, pour rester impassible tout en assistant à la torture ou à l’abattage d’un animal. Les personnes qui font ce travail le font souvent au prix de grands sacrifices personnels. Nous devons louer ceux qu’une réelle compassion contraint à emprunter cette voie et nous rappeler que des campagnes passées ou présentes, comme celles de SHAC, doivent énormément aux informations acquises de cette façon. Dans le récit qui suit, l’auteur décrit comment certains événements ont façonné sa vie et l’ont conduit à devenir enquêteur professionnel.
(…) Ayant toute ma vie souhaité travailler avec des animaux, je pensais que le meilleur moyen pour être vraiment proche d’eux était de devenir gardien de zoo. Aussi, j’avais arrêté prématurément les études pour travailler dans un petit zoo du comté de Warwickshire, mais moins de six mois plus tard, je reprenais le chemin des cours.
En effet, j’étais de plus en plus déçu de la manière dont les animaux étaient traités et, finalement, je démissionnais en même temps qu’un collègue, après avoir découvert que le propriétaire du zoo utilisait un fusil à air comprimé pour transférer les chimpanzés d’une cage à l’autre. Peu après avoir quitté ce travail, le zoo fut fermé. Au lycée, je passais mes examens avec succès mais je croyais encore alors que ma vocation était de travailler dans un zoo. Je mis mes expériences passées sur le compte de la malchance, convaincu que les problèmes dont j’avais été témoin dans le Warwickshire ne se poseraient pas dans un plus grand zoo. Aussi étais-je enchanté lorsqu’une lettre arriva du Zoo de Londres pour m’informer que ma candidature avait été retenue et que j’étais affecté à l’entretien des ours, des lions de mer, des phoques et des chèvres de montagne.
Moins de trois mois plus tard, mon enthousiasme avait décliné, et je commençais à me poser des questions sur l’environnement dans lequel ces animaux étaient maintenus et sur la façon dont certains étaient traités. Et, en premier lieu, pourquoi étaient-ils là ? Pourquoi les éléphants se balançaient-ils d’un côté puis de l’autre ? Pourquoi les grands félins arpentaient-ils sans cesse leur enclos ? Pourquoi les ours se balançaient-ils, marchaient-ils de long en large et secouaient-ils perpétuellement la tête ? Parmi les gardiens, des histoires circulaient selon lesquelles les éléphants qui se » conduisaient mal » étaient emmenés derrière la cantine, loin des caméras, et roués de coups et/ou enchaînés dehors toute la nuit. Selon d’autres rumeurs, des wallabies étaient retirés du zoo et envoyés dans un laboratoire voisin (Wellcome), où ils étaient décapités lors d’expériences de routine. En fait, il ne s’agissait pas rumeurs, mais d’une vérité connue de quelques gardiens seulement. Tandis que les mois s’écoulaient, j’avais de plus en plus conscience de n’être rien d’autre qu’un gardien de prison et non pas quelqu’un qui prenait réellement soin des animaux, qui, contrairement à ce que j’avais eu la naïveté de croire, n’étaient pas élevés pour être réintroduits dans leur milieu naturel. En fait, je pourrais compter sur les doigts d’une main les animaux que les zoos ont réussi à réintroduire dans la nature jusqu’ici.
Un an après, mes rêves étaient anéantis. Je décidais de partir, incapable de continuer à travailler dans un environnement où personne ne se posait de questions sur les conditions de vie des animaux ni sur les comportements anormaux que beaucoup d’entre eux manifestaient. Ces animaux étaient maintenus en cage dans le but mercantile de fournir un spectacle à un public ignorant et indifférent. Il était donc temps de partir, mais vers quoi ? J’aimais les animaux et je ne voulais qu’une chose : travailler avec eux. J’allai bientôt découvrir qu’il y avait une grande différence entre travailler avec les animaux et travailler pour eux.
Après plusieurs mois de chômage, je vis une affiche dans le métro de Londres pour l’exposition » Living Without Cruelty » organisée par Animal Aid et je suis allé voir de quoi il était question. Cette exposition contribua à changer le cours de ma vie. Bien qu’ayant travaillé, lors d’un stage, à l’hôpital vétérinaire Harmsworth (de la RSPCA) et ayant vu des animaux victimes de mauvais traitements, rien n’aurait pu me préparer à ce que j’ai découvert en visitant cette exposition. J’ignorais alors encore toutes les formes que peut prendre l’exploitation animale.
En faisant le tour des stands, je suis tombé sur celui de Zoo Check et j’ai discuté pendant une heure avec le représentant de cette organisation. J’ai ressenti un grand soulagement d’avoir enfin trouvé une association s’occupant spécifiquement de la question des zoos et j’ai su alors ce que je voulais faire. Je voulais travailler pour les animaux. Je voulais consacrer mon temps et mes efforts à aider les animaux qui, cette exposition le montrait clairement, en avaient grand besoin. Je commençais à travailler bénévolement pour Zoo Check et après quelques mois, on me proposa une place dans le service comptable de leurs bureaux du Surrey. Cependant, bien que mon emploi officiel fut de tenir les comptes, je passais moins de temps au bureau qu’à visiter des zoos et à faire des rapports. En conséquence, j’avais pris du retard dans mon travail de comptable et au bout d’une année, puisqu’il n’existait pas, à l’intérieur de l’organisation, d’emploi pour un enquêteur/observateur officiel, je suis parti.
Que faire maintenant ? Lors d’une campagne couronnée de succès pour libérer Missie et Silver de la Marina de Brighton, je m’étais fait quelques amis et je suis descendu m’installer sur la côte où je m’impliquais dans des actions de sabotage de chasse au renard. Être poursuivi par des tueurs d’animaux violents, harcelé par la police et témoin de la souffrance animale furent des expériences qui se sont révélées fort précieuses pour le travail que j’allais bientôt entreprendre. Ma première mission d’infiltration eu lieu quelques mois après mon installation à Brighton. Un ami m’informa d’un poste à pourvoir dans un endroit appelé Shamrock Farms où l’on élevait des animaux pour l’expérimentation. Intéressé, je postulais et je fus engagé. Était-ce un hasard si le technicien en chef avait été gardien au Zoo de Londres ? !
Shamrock était un endroit où arrivaient des animaux importés de l’Île Maurice, des Philippines et d’Indonésie. A leur arrivée, ils étaient examinés. Les malades étaient éliminés tandis que les autres étaient envoyés dans des labos à travers le monde. Durant neuf mois, j’ai constaté, filmé et photographié les mauvais traitements quotidiens et toutes les souffrances endurées par ces primates. Ensuite, je suis allé travailler dans un laboratoire situé dans le comté du Yorkshire où les primates provenant de Shamrock étaient utilisés pour des expériences.
J’ai travaillé dans la pièce même où, quelques années auparavant, des beagles fumeurs devenus » célèbres » malgré eux étaient contraints de fumer des dizaines de cigarettes à la fois. Rien n’avait vraiment changé, sauf que les chiens avaient été emmenés vers un autre labo proche et remplacés par des primates forcés d’inhaler des gaz toxiques et d’avaler des produits chimiques au lieu de cigarettes.
J’ai travaillé dans ce laboratoire pendant cinq mois. Un après-midi je suis parti tôt, sous le prétexte d’un rendez-vous chez le dentiste. Je ne suis jamais revenu et ce même après-midi, une campagne était lancée. C’était difficile de partir et de laisser derrière moi les nombreux primates que j’avais fini par connaître et que je ne reverrai jamais. Je savais que d’ici la fin de la semaine, ils seraient tous morts. Après avoir travaillé près d’un an dans l’industrie de la vivisection, j’en étais enfin sorti. Je crois que j’ai pleuré tout le long du trajet jusqu’à Londres. Pendant des semaines, pas un jour ne passa sans que je pense à ces primates. L’inhalation de force était une routine quotidienne et je savais à quelle heure les animaux terrifiés étaient amenés dans le laboratoire. Il me suffisait de regarder ma montre pour me souvenir. Je m’en souviendrai d’ailleurs toujours.
Après que le BUAV ait lancé la campagne » Paradise Lost » pour dénoncer le commerce international de primates pour la recherche, les jours de Shamrock étaient comptés. Avec le support des photographies et des films réalisés à Shamrock, la campagne ne cessait de s’amplifier et montrait les brutalités infligées aux primates ainsi que leur souffrance quotidienne que Shamrock ne pouvait pas réfuter. La pression grandissante, le lobbying politique et des actions directes locales prirent le relais et relativement peu de temps après le lancement de la campagne, la plus grosse entreprise d’importation de primates du Royaume-Uni ferma ses portes pour de bon.
C’est comme ça que je suis devenu enquêteur. J’ai vu beaucoup de choses depuis : des animaux se faire égorger sans étourdissement ; être battus à mort ; être contraints, par la brutalité et la privation de nourriture, d’exécuter des numéros ; être tués par gazage ou par électrocution. J’ai vu des animaux vivre dans des conditions si épouvantables qu’ils en venaient à s’automutiler à force d’ennui et de frustration ; des animaux être transportés de telle sorte qu’à l’arrivée, ils ont des membres brisés ; des animaux pendus à des arbres au nom de la tradition ; d’autres raillés et finalement tués au nom de la tradition. (Je dois préciser que la plupart des faits que je viens de décrire étaient légaux dans les pays où j’effectuais mes enquêtes.) Je ne suis pas fier d’avoir assisté à tout ça. Ce n’est qu’une longue suite de morts et de souffrances que je n’oublierai jamais et qu’il ne m’est pas permis d’oublier, même dans mon sommeil.
Comment puis-je me tenir là, à regarder les animaux, que je prétends aimer tellement, se faire brutaliser et tuer ? La réponse est simple. Parce que j’en suis capable et que quelqu’un doit le faire. C’est parce que je suis tellement préoccupé par le sort de ces animaux que je parviens à les regarder souffrir afin de porter témoignage de leurs souffrances. Cela doit être fait sinon nous n’aurions pas les armes nécessaires pour mener nos campagnes. Ni photographies ni films. Nous avons constamment besoin de preuves et de support nouveaux pour nos campagnes. Ils sont nécessaires pour faire pression sur les politiques afin de faire changer les lois et pour essayer d’informer le public.
Je reconnais que ce travail m’a endurci. Je ne suis plus aussi émotif quand il s’agit de cruauté envers les animaux. Il m’a dépossédé de certaines émotions naturelles et parfois j’aimerais que ce ne fut pas le cas. Je retiens mes émotions lorsque j’assiste à la souffrance animale parce que je m’applique à enregistrer les événements. Intervenir aurait pour résultat d’être jeté dehors ou passé à tabac. L’animal que j’aurais essayé de sauver continuerait de souffrir et je ne serais plus en mesure de dénoncer d’autres souffrances. Il est très important pour moi que chaque animal que je vois souffrir et mourir ne meurt pas en vain. Je vois les choses ainsi : l’animal souffrira de toute façon que je sois là ou non et il vaut mieux que quelqu’un de concerné par son sort soit présent pour observer, noter et rapporter les faits. Certains croient que ces enquêteurs sont froids et peut-être même insensibles. Je peux vous assurer que je ne suis ni l’un ni l’autre. Je contiens ma colère et mes larmes pour plus tard, loin des tortionnaires. Je m’efforce de ne pas me laisser envahir par mes émotions. Lorsque je suis témoin de souffrance animale, j’essaie toujours de m’assurer qu’elle n’aura pas été vaine et que des personnes en seront informées et chaque fois que j’en ai eu l’occasion, j’ai aidé à sauver des animaux, parfois même en persuadant certains tortionnaires de me les confier pour que je leur trouve un foyer d’accueil.
Lorsque mon travail consiste à m’occuper des animaux, alors je leur donne tout l’amour et l’affection que je peux. C’est une satisfaction de savoir qu’il y a des gens qui, en voyant ce que j’ai filmé ou photographié seront motivés pour agir, d’une manière ou d’une autre. Il est également satisfaisant que des tortionnaires d’animaux, qui s’imaginent intouchables et pensent que personne ne sait ce qu’ils leur font subir, se retrouvent publiquement démasqués. Je sais que cela les atteint. Ils croient être en sécurité, et ils l’ont probablement été pendant des années, torturant les animaux derrière des portes closes et ce, dans certain cas, sous la protection de services de sécurité voire de la police.
Le conseil que je donne à quiconque envisage d’enquêter ouvertement ou clandestinement sur la cruauté qu’endurent les animaux est : foncez. Si vous pensez être capable de rester impassible alors qu’un animal se fait maltraiter alors, on a besoin de vous ! Pensez-y. Tandis que vous lisez cette article, des animaux sont maltraités quelque part, d’une façon ou d’une autre et personne n’est là pour témoigner. Ces animaux auront souffert et seront morts en vain. Tant que l’exploitation des animaux existera, nous devrons être là pour rapporter les faits afin d’aider à y mettre un terme.
Bien que je fasse des enquêtes depuis des années, cela n’est pas devenu pour autant plus facile. Ce travail peut être sale et difficile et, selon le projet, vous pouvez être amené à mettre de côté toute vie sociale car ce boulot peut fréquemment vous éloigner de chez vous. Au fil des ans, j’ai perdu beaucoup d’amis en raison de mon absence. C’est un travail souvent très solitaire et il est vraiment important d’avoir le soutien d’une ou deux personnes de confiance qui pourront vous aider à faire face au stress inhérent à ces missions. Si vous êtes toujours motivé, alors je vous conseillerais de contacter une organisation possédant l’équipement, le savoir-faire, les contacts, etc. indispensables pour mener à bien le travail d’investigation. (NDT : pour en savoir plus sur ces enquêtes, lisez ici l’article sur l’organisation AIE).
J’espère que certains des documents que j’ai obtenus dans le passé ont contribué à inciter plus de gens à s’impliquer activement dans le mouvement pour les droits des animaux. J’espère aussi que mes rapports, photographies et films ont été utilisés avec succès pour persuader les députés de s’impliquer ou de faire évoluer la législation. Je sais aussi que même si nous dévoilions tous les jours des cas révoltants d’exploitation des animaux, les choses évolueraient encore avec une lenteur désespérante.
Cette lenteur m’irrite d’autant plus que j’assiste aux souffrances des animaux et que je les regarde dans les yeux lorsqu’ils meurent . J’ai été assez naïf pour croire que si nous dénoncions les établissements où se pratique la torture, ils seraient définitivement fermés ou que leurs pratiques cesseraient. Je sais maintenant que les choses ne fonctionnent pas ainsi. Nous taillons tous un gros bloc de pierre, et travaillons tous ensemble dans le même but. Certains morceaux sont plus gros que d’autres mais il semble parfois que tous nos efforts n’ont pas beaucoup altéré ce bloc de pierre. Cependant, petit à petit des lettres se forment. Nous pouvons voir le L et le début du A. Nous pourrons transformer ce bloc de pierre si nous poursuivons notre effort. À terme, les mots LIBERATION ANIMALE apparaîtront. J’aimerais parfois ne rien savoir de toutes ces souffrances, mais maintenant que j’ai franchi le cap, je ne peux plus revenir en arrière.
J’ajouterais encore une dernière chose qui me paraît importante. Comme vous avez pu le lire, j’ai travaillé dans de nombreux endroits où les animaux sont torturés et maltraités et s’il y a une chose qui me désespère encore plus que la lenteur avec laquelle les choses évoluent c’est, lorsque travaillant sur l’un de ces sites, j’entends dire par des amis qu’untel s’est fâché avec untel ou que tel groupe s’est fâché avec tel autre et qu’ils refusent désormais de travailler ensemble. J’y pense souvent tandis que je regarde les animaux pétrifiés derrière des barreaux, qui m’observent fixement et je me demande parfois : y-a-t-il un espoir ?
Danny
Vidéos d’enquêtes en caméra cachée dans des laboratoires pratiquant la vivisection