De la rigueur des publications scientifiques…

Recherche sur le cancer : de nombreuses « découvertes » ne tiennent pas la route

(28 mars 2012)

Reuters – Selon un ancien chercheur d’Amgen Inc., le manque de fiabilité de nombreuses études fondamentales sur le cancer – essentiellement publiées par des laboratoires universitaires – influence négativement l’élaboration ultérieure de nouveaux traitements.

Responsable de la recherche mondiale sur le cancer chez Amgen pendant dix ans, C. Glenn Begley a recensé 53 publications « de référence » – présentées dans des grandes revues par des laboratoires réputés – pour en contre-vérifier les conclusions avant de s’en servir de base pour mettre au point des médicaments.

Au final, 47 des 53 résultats ont été impossibles à reproduire comme signalé par M. Begley dans la revue Nature.

Aujourd’hui vice-président directeur de TetraLogic, une entreprise privée de biotechnologie qui fabrique des anticancéreux, M. Begley a fait part de son effarement : « L’industrie pharmaceutique s’appuie sur ces études pour identifier de nouvelles cibles afin de développer des traitements. Quand vous vous apprêtez à parier 1, 2 ou 5 millions de dollars sur une observation, vous devez avoir la certitude qu’elle est juste. La conviction que nous avons acquise en essayant de reproduire les résultats publiés dans ces articles est qu’il ne faut rien prendre pour argent comptant. »

L’incapacité à gagner « la guerre contre le cancer » a été attribuée à de nombreux facteurs, allant de l’utilisation de modèles murins inadéquats pour les cancers humains à l’extrême prudence des autorités de financement. Mais un nouveau coupable est incriminé depuis peu : trop de découvertes scientifiques de nature fondamentale, obtenues sur des animaux ou des cellules cultivées en laboratoire et destinés à ouvrir la voie à un nouveau médicament, sont fausses.

Des scientifiques de Bayer AG le déploraient déjà dans une publication en 2011. Ces groupes de chercheurs n’ont pas crié à la supercherie ni cité nommément les études qu’ils ont tenté de reproduire. Ils font partie néanmoins de ceux qui imputent ce phénomène à un système d’incitations biaisé qui amène les universitaires à prendre des raccourcis pour des motivations carriéristes.

George Robertson de l’université Dalhousie en Nouvelle-Écosse a lui aussi remarqué les imprécisions de nombreuses études universitaires à l’époque où il travaillait chez Merck sur les maladies neurodégénératives, la maladie de Parkinson notamment : « Ça rend dingue l’industrie. Pourquoi assistons-nous à l’effondrement des secteurs pharmaceutique et des biotechnologies ? Peut-être parce que les universités ne donnent pas de résultats fiables. »

INCROYABLE

Ces vingt dernières années, la voie d’innovation la plus prometteuse pour les anticancéreux a été celle ouverte par les découvreurs du Glivec de Novartis contre une certaine forme de leucémie, et de l’Herceptine de Genentech contre le cancer du sein. Dans les deux cas, les chercheurs ont découvert qu’une modification génétique entraînait la transformation d’une cellule normale en cellule maligne. Sur la base de ces constatations a été développée une molécule qui bloque le processus cancérigène.

Cette approche a donné lieu à une explosion de revendications d’autres cibles thérapeutiques potentielles. Amgen a essayé de reproduire les résultats des nouveaux articles avant d’engager ses propres projets de mise au point de médicaments.

Les scientifiques de Bayer n’a pas eu beaucoup plus de succès. Dans une communication de 2011 intitulée « Incroyable », ils ont analysé en interne des projets reposant sur des « publications de données passionnantes » empruntées à des études scientifiques fondamentales. Des données clés dont la plupart ont été impossibles à reproduire selon Khusru Asadullah, vice-président et responsable mondial Découverte de cibles chez Bayer HealthCare à Berlin, et ses collègues.

Sur 47 projets sur le cancer en cours chez Bayer en 2011, moins d’un quart ont pu reproduire des résultats précédemment rapportés alors que trois ou quatre scientifiques s’y sont consacrés à temps complet, jusqu’à une année pour certains. Ces projets ont finalement été abandonnés.

Bayer et Amgen ont constaté que le prestige de la revue ne garantit pas la qualité de la publication. M. Begley et Lee Ellis du centre MD Anderson contre le cancer ont estimé dans Nature que : « La communauté scientifique considère que les allégations d’une étude préclinique peuvent être prises pour argent comptant. Elle suppose également que le message principal de l’article est fiable… Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas. »

L’équipe d’une centaine de scientifiques chargée par Amgen de reproduire les résultats publiés ne parvenant pas à les confirmer, les auteurs ont été contactés. Ceux qui ont coopéré ont cherché à expliquer pourquoi Amgen ne réussissait pas à confirmer leurs résultats. Certains ont permis à Amgen d’emprunter les anticorps et d’autres matériaux utilisés dans l’étude d’origine, voire de reproduire les expériences sous la direction des auteurs.

Dans certains cas, les chercheurs d’Amgen ont été tenus de signer un accord de confidentialité leur interdisant de divulguer des données en contradiction avec les conclusions initiales. M. Begley : « Le monde ne saura jamais quelles sont les 47 études – dont beaucoup sont très largement reprises – qui sont apparemment fausses ».

Les scientifiques mis en cause ont répondu le plus souvent : « vous vous y êtes mal pris ». Biologiste du cancer et Prix Nobel, Phil Sharp de l’Institut de Technologie du Massachusetts reconnaît que la biologie du cancer est diaboliquement complexe.

Selon lui, les résultats ne peuvent être reproductibles que dans des conditions très spécifiques, et ce même dans les études les plus rigoureuses : « Une cellule cancéreuse peut répondre d’une certaine manière à un ensemble donné de conditions et d’une autre manière dans des conditions différentes. Une grande part de la variabilité peut provenir de cela, je pense. »

LA MEILLEURE

D’autres scientifiques s’inquiètent de ce que le défaut de reproductibilité puisse tenir à des considérations moins anodines.

À l’époque où il cherchait à reproduire les résultats des études prometteuses, M. Begley a rencontré dans le cadre d’une conférence sur le cancer le principal signataire de l’une des études problématiques.

« Nous avons repris l’article ligne à ligne, chiffre par chiffre. Je lui ai expliqué que nous avions refait l’expérience 50 fois sans jamais trouver leur résultat. Il a répondu qu’ils l’avaient faite six fois et obtenu le résultat une seule fois mais qu’ils l’avaient publié parce que ça faisait un super article. J’en suis resté pantois… »

Ce type de publication sélective n’est pas la seule raison pour laquelle la littérature scientifique est truffée de résultats incorrects.

D’une part, les études menées dans le cadre de la recherche fondamentale sont rarement conduites « en aveugle » comme le sont les essais cliniques. Les chercheurs savent donc quelle lignée cellulaire ou souris a été traitée ou a eu un cancer. Cette connaissance peut poser problème lorsque les données sont sujettes à interprétation, un chercheur intellectuellement investi dans une théorie ayant plus tendance à interpréter en sa faveur des résultats ambigus.

Le problème va au-delà du cancer.

Une commission de la NAS (l’Académie des Sciences aux États-Unis) a récemment reçu des témoignages dont il ressort que le nombre d’articles scientifiques retirés a plus que décuplé ces dix dernières années et que le nombre d’articles publiés dans les revues n’a augmenté que de 44%.

Ferric Fang de l’université de Washington a déclaré devant la commission que l’hypercompétition de l’environnement universitaire favorise la mauvaise science, voire la supercherie, dans la mesure où les chercheurs sont trop nombreux à se battre des financements qui diminuent.

Pour lui : « Le meilleur moyen de décrocher une subvention ou un poste est d’être publié dans une grande revue. Cette conviction malsaine peut pousser un scientifique à s’engager dans du sensationnel et, parfois même, à faire preuve de malhonnêteté. »

Le système de gratification universitaire décourage les efforts visant à confirmer que le résultat n’était pas le fruit du hasard. Rien n’incite à vérifier la découverte de quelqu’un d’autre. À la fin des années 1990, la plupart des cibles potentielles du cancer s’appuyaient sur 100 à 200 publications. Aujourd’hui, elles ne reposent plus que sur moins d’une demi-douzaine chacune.

Selon Ken Kaitin, directeur du Centre Tufts pour l’étude du développement des médicaments : « Quand vous pouvez écrire et vous faire publier, la question de la reproductibilité vous importe peu. Vous faites une observation puis vous continuez. Rien n’incite à vérifier la véracité. »

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