Un point sur la vivisection – et l’antivivisection – en Grande-Bretagne – Entretien avec Mel Broughton
Militant britannique pour les droits des animaux connu pour son engagement durable dans la campagne SPEAK contre la vivisection à l’université d’Oxford, Mel Broughton a purgé une longue peine de prison pour son militantisme pour les animaux. Aujourd’hui, il poursuit son investissement en s’impliquant notamment dans l’organisation hebdomadaire de stands de sensibilisation t d’actions de protestation à caractère légal contre la vivisection, notamment aux abords de l’université d’Oxford.
International Campaigns (IC) : Bonjour Mel. Pouvez-vous nous parler un peu de vous en tant que militant pour les droits des animaux et pour l’abolition de la vivisection ? Comment et quand a commencé votre investissement pour les animaux et quel a été jusqu’ici votre engagement contre l’utilisation des animaux dans les laboratoires en Grande-Bretagne ?
Mel Broughton (Mel) : C’est au début des années 1980 que j’ai commencé à m’investir dans des campagnes et le militantisme pour les droits des animaux. Depuis que je suis jeune, je suis révolté par la cruauté et l’injustice et c’est après avoir lu un tract dénonçant les expériences sur les animaux que j’ai immédiatement entrepris de militer dans ma propre ville. Peu après, j’ai rejoint un groupe local de saboteurs de chasses et j’ai commencé à participer à des marches contre les expériences sur les animaux. L’une des premières marches contre la vivisection à laquelle j’ai participé était celle organisée à Oxford en 1983. Ensuite, je n’ai cessé de soutenir et de m’impliquer dans de nombreuses campagnes : contre la vivisection, mais aussi contre l’industrie de la viande et autres formes d’exploitation animale, notamment les courses de lévriers ou l’utilisation d’animaux dans les cirques. La lutte contre la vivisection est depuis toujours, et reste, le combat moteur de mon implication dans les droits des animaux. Nous oublions souvent que c’est le scandale des animaux utilisés à des fins expérimentales et pour des tests qui est à l’origine de ce que nous appelons aujourd’hui le mouvement pour les droits des animaux. Au cours des années 1980, le mouvement antivivisection a pris de l’ampleur, avec la création notamment de différentes ligues pour la libération animale (« Animal Liberation Leagues ») à travers le pays (CALL, NALL, SEALL,…). Ces collectifs militants organisaient des actions en plein jour et de grande ampleur contre des laboratoires et des élevages d’animaux pour la vivisection pour obtenir des preuves de la souffrance endurée par les animaux dans ces établissements. Il est arrivé qu’une centaine de militants envahissent un site lié à l’industrie de la vivisection pour filmer les animaux à l’intérieur des locaux, pour recueillir des preuves irréfutables sur leur sort. C’est ainsi qu’un raid de jour sur le laboratoire du Collège royal des chirurgiens (Royal College of Surgeons – RCS) dans le comté du Kent a conduit à la condamnation de cet établissement pour avoir provoqué la mort d’un jeune primate, même si cette institution a été ensuite acquittée pour vice de procédure. Ces actions ont été largement rapportées dans les médias nationaux et des images d’animaux dans les laboratoires ont fait les gros titres et ont été vues par des millions de téléspectateurs.
À partir de la fin des années 1990, est apparue une nouvelle vague de campagnes plus agressives dont la stratégie consistait à s’attaquer à l’activité financière d’éleveurs d’animaux pour les laboratoires mais aussi à des sociétés de recherche sous contrat (CRO) effectuant des tests et expériences sur les animaux pour le compte de laboratoires. La plus célèbre de ces campagnes plus percutantes est SHAC (Stop Huntingdon Animal Cruelty) qui a été si efficace que c’est à l’intervention directe des autorités britanniques que la CRO Huntingdon Life Sciences (HLS) doit d’avoir évité la faillite. D’autres campagnes aux mêmes méthodes ont abouti, qu’il s’agisse de Save the Newchurch Guinea Pigs, Close Shamrock Farm, Regal Rabbits ou Save the Hilgrove Cats, des mobilisations qui ont toutes entraîné la fermeture d’élevages d’animaux pour les laboratoires ainsi que le sauvetage de milliers d’animaux, des rescapés qui ont ensuite trouvé un foyer. En 2002, une autre campagne visant à stopper la construction d’un laboratoire pour primates dans la périphérie de Cambridge a également été un succès puisque l’université a dû abandonner son projet. Quant à la campagne SPEAC (Stop Primate Experiments at Cambridge) visant à mettre un terme aux expériences sur les primates à l’université de Cambridge, elle a permis de mettre en place une opposition locale et nationale qui a mené une campagne efficace pour arrêter la construction d’un laboratoire pour primates. SPEAC est ensuite devenu SPEAK, une association qui a fait campagne contre le projet de construction par l’université d’Oxford d’un autre établissement de recherche sur animaux.
IC : Vous êtes connu pour votre investissement contre la vivisection à l’université d’Oxford. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qu’ont subi et continuent de supporter les animaux dans cette université ? Pouvez-vous nous détailler l’histoire des campagnes contre la vivisection menées contre cette université ?
Mel : La vivisection à l’université d’Oxford a été dénoncée à maintes reprises au cours de l’histoire. Pendant des siècles, des voix solitaires se sont élevées contre les expériences sur les animaux à Oxford, mais les campagnes de plus grande ampleur sont un phénomène plus récent qui a débuté dans les années 1980. Engagée en 2004 avec des protestations hebdomadaires qui se poursuivent aujourd’hui, SPEAK est probablement la campagne la plus ancienne qui reste active. D’autres campagnes passées ont été plus brèves et se sont souvent focalisées contre un individu particulier, par exemple le tristement célèbre neurobiologiste britannique Colin Blakemore, ou contre des types de recherche spécifiques. Dans les années 1980 et 1990, deux établissements d’élevage pourvoyeurs d’animaux pour l’université d’Oxford ont été attaqués par l’ALF (Animal Liberation Front) et par la Central Animal Liberation League (CALL). Ces actions ont permis de sauver des chiens beagle, des lapins et aussi des rats. Et lors d’une opération en plein jour menée par la CALL, ont été secourus un chien de berger anglais ancestral et un chien de berger Border Collie, de toute évidence d’anciens animaux domestiques. L’université d’Oxford a toujours été une cible de choix pour ceux qui militent contre la recherche sur les animaux.
Depuis l’ouverture d’un nouveau laboratoire de recherche sur animaux en 2008, la campagne SPEAK n’a cessé de lutter contre l’utilisation d’animaux pour la recherche. Même si le combat pour s’opposer à la construction du laboratoire a été perdu, le problème de l’expérimentation animale à l’université d’Oxford n’a jamais pu être éclipsé pour autant. Pour ses recherches, l’université d’Oxford utilise plus d’animaux que tout autre établissement au Royaume-Uni avec un total de 219 551 animaux utilisés en 2018 : notamment des souris, des rats, des cochons d’Inde, des primates non humains ainsi que des lapins, des poissons et des cochons. Parce que son rayonnement international fait de l’université d’Oxford une institution prestigieuse, la campagne SPEAK estime nécessaire de continuer de mettre la pression sur cet établissement et sur son rôle clé dans la promotion et dans la pratique des expériences sur les animaux. Nous sommes devant le laboratoire de recherche sur les animaux d’Oxford chaque semaine et, du coup, nous sommes amenés à être en contact avec de nombreux étudiants en médecine et avec des chercheurs qui travaillent dans cette université. Ceci nous permet de nous confronter à et de discuter avec des étudiants qui prévoient une carrière de recherche sur les animaux et avec ceux qui le font déjà.
IC : Que pouvez-vous nous dire sur la situation globale pour les animaux dans les laboratoires britanniques ?
Mel : La situation actuelle pour les animaux emprisonnés dans les laboratoires britanniques peut probablement se résumer à celle d’une activité cachée. Ce que je veux dire, c’est que depuis la fin de nombreuses campagnes très actives dans les années 1980 et 1990, aujourd’hui quasiment tout le flux des informations destinées au public concernant les expériences sur les animaux est contrôlé par l’industrie de la recherche elle-même. Les publications des médias concernant l’expérimentation sur les animaux ne rapportent presque jamais un commentaire hostile ou une critique scientifique concernant la recherche animale. À cela il faut ajouter de nouvelles lois restreignant les manifestations et une réglementation spécifique ciblant des personnes ou des groupes qui cherchent à révéler activement la souffrance des animaux dans les laboratoires, ce qui a un effet dissuasif certain. Mais il y a un autre problème de fond par rapport au militantisme pour les animaux. En effet, avec l’essor du véganisme, on peut constater un changement d’intérêt. Le mouvement pour les droits des animaux, qui a ses racines dans des campagnes antivivisection menées depuis le XIXe siècle, fait désormais place à un mouvement motivé par des préoccupations alimentaires et leur impact sur les animaux. Il est évident que le véganisme est une composante essentielle de la philosophie des droits des animaux, mais il est également certain que cela relègue la lutte contre l’expérimentation animale au second plan. Concernant le nombre d’animaux utilisés dans les laboratoires britanniques, environ 4 millions d’animaux sont sacrifiés tous les ans, ces dernières années. Le développement de technologies destinées à la pharmacie et à la recherche doit encourager les chercheurs à comprendre qu’utiliser des animaux n’est pas de la bonne science et qu’à l’aube de la médecine personnalisée, seule une recherche s’appuyant sur l’humain et sur des méthodes in vitro est appropriée. Évidents, les arguments éthiques sont toujours aussi pertinents voire davantage car nous ne cessons d’en apprendre sur la vie émotionnelle complexe des animaux non humains.
IC : Comment envisagez-vous l’avenir de la vivisection en tant qu’industrie (internationale) ?
Mel : Je pense que bien des commentaires que je viens de faire répondent à cette question. La vitesse à laquelle évolue la technologie va encore augmenter, mais sans une position antivivisection puissante au nom des animaux dans les laboratoires il y a toujours le risque que les chercheurs ferment tout simplement les yeux sur les questions d’éthique.
IC : Avant de vous remercier pour cette interview enrichissante, quels sont, selon vous, les meilleurs moyens de combattre les tests et les expériences sur les animaux ? Que suggéreriez-vous aux personnes qui arrivent dans le mouvement ?
Mel : Je recommanderais vivement aux nouveaux venus de s’impliquer dans la dénonciation des expériences sur les animaux qui ont lieu dans leur université ou au sein d’une société de sous-traitance de tests sur animaux dans leur ville/région. En effet, nombreux sont les jeunes qui rejoignent le mouvement vegan, sans pour autant s’être jamais intéressés au problème de l’expérimentation sur les animaux. Ils devraient aussi faire leurs propres recherches et s’informer sur l’histoire du militantisme contre la vivisection et sur les initiatives en cours en termes de tests et de recherches sans animaux. Ainsi, si un groupe local suggère de lancer une campagne contre la vivisection, il ne faut pas hésiter à se mobiliser à ses côtés dans la rue et à échanger avec le public. À Oxford, malgré toute la couverture médiatique négative concernant notre campagne, nous continuons d’avoir un soutien non négligeable de la part du public. Nous sommes tous à un moment ou à un autre des nouveaux venus et il nous a fallu apprendre. Il est crucial de former une nouvelle génération de militants engagés contre l’utilisation des animaux dans les laboratoires. Nous sommes dans les rues d’Oxford depuis quinze ans déjà et nous ne renoncerons jamais. Les animaux dans les laboratoires sont à l’abri des regards : il n’est pas possible de les voir ni de les entendre arriver par camions dans des établissements pratiquant la vivisection, ni même de les photographier puis de publier tout cela sur les réseaux sociaux. Ces animaux continuent cependant de souffrir et de mourir par millions : notre devoir est de ne pas les oublier.
Photos copyright © SPEAK