Portrait d’un homme bien sous tous rapports

alias, Professeur Robert White, également conseiller scientifique de sa sainteté Jeant-Paul II.

Emission du 16 mai 2000

Copyright Arte

Cet homme en blouse blanche à l’apparence tranquille a été baptisé Frankenstein, ou le Monstre. Certains collègues l’ont traité d’arriviste et d’utopiste. Le Docteur Robert White, chirurgien à la prestigieuse Université Case Western de Cleveland, dans l’Ohio, ne s’en émeut pas : il veut transplanter des têtes, le plus tôt possible.

Robert White : Je pense que, en ce qui concerne les applications humaines, la science a atteint un stade où nous pouvons transplanter le cerveau et l’esprit, l’âme si l’on considère qu’elle siège dans le cerveau. Je vois vraiment le cerveau comme un simple tissu physique, comme le substrat de l’âme. Pour moi, le corps – aussi beau soit-il – n’est qu’une sorte de réserve dont la responsabilité est de maintenir le cerveau en vie.

Le Docteur White voudrait transplanter sur des corps sains, prélevés à des personnes cérébralement mortes, les têtes de malades incurables, par exemple des paraplégiques. Il appelle cette méthode la transplantation corporelle totale. Il l’a employée dès 1970 dans le cadre d’expériences sur des singes. A l’époque, il s’intéressait surtout au maintien des fonctions cérébrales.

Robert White : Nous savions par expérience qu’il faut laisser le cerveau dans le crâne, car alors, les nerfs qui permettent l’ouïe, la vue, le goût, l’odorat, etc. et même la sensibilité du visage restaient intacts. Ils n’avaient pas souffert. Donc le cerveau était isolé, mais encore contenu dans les limites du crâne et de la tête, et il avait encore toutes ses facultés de vision, d’ouoe, et ainsi de suite. Donc nous avions deux choix : soit monter la préparation sur une machine pour permettre au cerveau de survivre en toute circonstance ; soit, ce qui était bien mieux, transplanter la tête sur un autre corps. D’un point de vue technique, nous avons préféré cette solution. En fin de compte, nous avons ajouté au cerveau, encore contenu dans le crâne, un nouveau corps. En d’autres termes, nous avons pris un cerveau et une tête et les avons transplantés sur un corps. Le corps d’origine a été éliminé. Et en fin de compte, nous avons voulu savoir si le cerveau était vivant et s’il fonctionnait dans ces circonstances. La réponse est : oui, pour cette préparation, car ce cerveau isolé était capable de voir, de goûter, de sentir, et l’animal était encore entièrement un singe sauvage.

Qu’en est-il de l’éthique et de la morale dans une telle expérience ? Catholique pratiquant, le Docteur White s’en est entretenu notamment avec le pape Jean-Paul II, qu’il conseille depuis de nombreuses années sur des questions éthiques comme celles de la mort cérébrale. Le Pape s’est montré ouvert, déclare Robert White. Car l’objectif est d’atténuer des souffrances. Même si actuellement, aucune commission éthique au monde n’autoriserait une transplantation de la tête chez l’être humain.

Robert White : C’est peut-être la forme d’expérimentation humaine la plus avancée jamais entreprise. Pour moi, c’est une opération qui servirait à sauver la vie de quelqu’un, à condition qu’elle ait été parfaitement mise au point chez l’homme et chez l’animal, et qu’on ait démontré que les animaux peuvent vivre pendant de nombreux mois de manière relativement confortable.
Supposons que quelqu’un vienne me voir en me disant : « Docteur White, je suis paraplégique, mais j’ai du succès dans mon travail, je suis scientifique malgré mes limitations – pensez à M. Hawkins -, mais mes médecins me disent qu’il me reste seulement quelques mois à vivre, parce que mon corps me lâche. Mes organes ne tiennent plus le coup, on ne peut pas tous les transplanter un par un. Je voudrais que vous m’opériez pour remplacer mon corps malade par un corps sain. » Pour moi, les dimensions éthiques et morales de cette requête sont très simples : Si je dis « non », la personne meurt ; si je dis « oui », je lui donne une chance de survivre.

L’expérience se heurte encore à différents obstacles. Les scientifiques ne savent pas encore réassembler la moelle épinière, qu’il faudrait pourtant bien trancher pour la transplantation. Mais les recherches avancent et de nouvelles techniques devraient bientôt permettre de combler cette lacune. De même, la réaction de rejet après la transplantation n’est plus un problème insoluble. Les expériences sont d’ailleurs rendu possibles grâce à un système élaboré par Robert White et son équipe, qui permet d’abaisser de 10 degrés la température du cerveau par l’intermédiaire du sang que l’on envoie dans la tête sectionnée. Seul ce moyen permet au cerveau de survivre un certain temps séparé du corps.

Robert White : On pourrait dire : OK, vous avez opéré toute une série de singes qui ont survécu correctement pendant un an, mais est-ce suffisant ? Je dirais oui. Nous avons répété ces expériences, avons administré aux animaux les médicaments appropriés pour empêcher le rejet des organes – d’ailleurs, le cerveau est vraiment fascinant, il n’est pas rejeté avec la même fréquence que les autres organes. L’un des enseignements que nous avons tiré du premier singe, c’est qu’après la transplantation corporelle totale, quand nous avons examiné le cerveau, il n’y avait aucun signe de rejet des tissus.

Robert White aura bientôt 74 ans. Il rêve d’être le premier chirurgien à réaliser une transplantation de la tête chez un être humain. Il est peu probable qu’il y parvienne. Même en étant optimiste et malgré tous les travaux de recherche en cours dans ce domaine, cela demanderait au moins vingt ans avant que la médecine sache assurer par exemple la régénérescence de la moelle épinière. Le Docteur White se prêterait-il lui-même à une telle expérience si ses organes devaient un jour s’avérer inopérants, alors que son cerveau fonctionnerait parfaitement ? Il reste discret sur la question. Mais comment réagit-il à sa réputation de Frankenstein du XXIe siècle ?

Robert White : Je ne sais pas. En vous parlant, je m’étonne encore de la distance qui me sépare de la légende de Frankenstein. Donc je ne m’en vexe pas et je laisse les gens établir ce genre de comparaison. Je trouve cela assez amusant, et fascinant surtout de penser que quelqu’un a écrit cela à l’âge de 18 ans. Qu’on me prenne pour l’héritier de la légende de Frankenstein si l’on veut, cela m’amuse, ça ne me blesse pas.

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  Portrait : Robert WhiteCet homme en blouse blanche à l’apparence tranquille a été baptisé Frankenstein, ou le Monstre. Certains collègues l’ont traité d’arriviste et d’utopiste. Le Docteur Robert White, chirurgien à la prestigieuse Université Case Western de Cleveland, dans l’Ohio, ne s’en émeut pas : il veut transplanter des têtes, le plus tôt possible.Robert White : Je pense que, en ce qui concerne les applications humaines, la science a atteint un stade où nous pouvons transplanter le cerveau et l’esprit, l’âme si l’on considère qu’elle siège dans le cerveau. Je vois vraiment le cerveau comme un simple tissu physique, comme le substrat de l’âme. Pour moi, le corps – aussi beau soit-il – n’est qu’une sorte de réserve dont la responsabilité est de maintenir le cerveau en vie.Le Docteur White voudrait transplanter sur des corps sains, prélevés à des personnes cérébralement mortes, les têtes de malades incurables, par exemple des paraplégiques. Il appelle cette méthode la transplantation corporelle totale. Il l’a employée dès 1970 dans le cadre d’expériences sur des singes. A l’époque, il s’intéressait surtout au maintien des fonctions cérébrales.Robert White : Nous savions par expérience qu’il faut laisser le cerveau dans le crâne, car alors, les nerfs qui permettent l’ouïe, la vue, le goût, l’odorat, etc. et même la sensibilité du visage restaient intacts. Ils n’avaient pas souffert. Donc le cerveau était isolé, mais encore contenu dans les limites du crâne et de la tête, et il avait encore toutes ses facultés de vision, d’ouoe, et ainsi de suite. Donc nous avions deux choix : soit monter la préparation sur une machine pour permettre au cerveau de survivre en toute circonstance ; soit, ce qui était bien mieux, transplanter la tête sur un autre corps. D’un point de vue technique, nous avons préféré cette solution. En fin de compte, nous avons ajouté au cerveau, encore contenu dans le crâne, un nouveau corps. En d’autres termes, nous avons pris un cerveau et une tête et les avons transplantés sur un corps. Le corps d’origine a été éliminé. Et en fin de compte, nous avons voulu savoir si le cerveau était vivant et s’il fonctionnait dans ces circonstances. La réponse est : oui, pour cette préparation, car ce cerveau isolé était capable de voir, de goûter, de sentir, et l’animal était encore entièrement un singe sauvage.

Qu’en est-il de l’éthique et de la morale dans une telle expérience ? Catholique pratiquant, le Docteur White s’en est entretenu notamment avec le pape Jean-Paul II, qu’il conseille depuis de nombreuses années sur des questions éthiques comme celles de la mort cérébrale. Le Pape s’est montré ouvert, déclare Robert White. Car l’objectif est d’atténuer des souffrances. Même si actuellement, aucune commission éthique au monde n’autoriserait une transplantation de la tête chez l’être humain.

Robert White : C’est peut-être la forme d’expérimentation humaine la plus avancée jamais entreprise. Pour moi, c’est une opération qui servirait à sauver la vie de quelqu’un, à condition qu’elle ait été parfaitement mise au point chez l’homme et chez l’animal, et qu’on ait démontré que les animaux peuvent vivre pendant de nombreux mois de manière relativement confortable.
Supposons que quelqu’un vienne me voir en me disant : « Docteur White, je suis paraplégique, mais j’ai du succès dans mon travail, je suis scientifique malgrè mes limitations – pensez à M. Hawkins -, mais mes médecins me disent qu’il me reste seulement quelques mois à vivre, parce que mon corps me lâche. Mes organes ne tiennent plus le coup, on ne peut pas tous les transplanter un par un. Je voudrais que vous m’opériez pour remplacer mon corps malade par un corps sain. » Pour moi, les dimensions éthiques et morales de cette requête sont très simples : Si je dis « non », la personne meurt ; si je dis « oui », je lui donne une chance de survivre.

L’expérience se heurte encore à différents obstacles. Les scientifiques ne savent pas encore réassembler la moelle épinière, qu’il faudrait pourtant bien trancher pour la transplantation. Mais les recherches avancent et de nouvelles techniques devraient bientôt permettre de combler cette lacune. De même, la réaction de rejet après la transplantation n’est plus un problème insoluble. Les expériences sont d’ailleurs rendu possibles grâce à un système élaboré par Robert White et son équipe, qui permet d’abaisser de 10 degrés la température du cerveau par l’intermédiaire du sang que l’on envoie dans la tête sectionnée. Seul ce moyen permet au cerveau de survivre un certain temps séparé du corps.

Robert White : On pourrait dire : OK, vous avez opéré toute une série de singes qui ont survécu correctement pendant un an, mais est-ce suffisant ? Je dirais oui. Nous avons répété ces expériences, avons administré aux animaux les médicaments appropriés pour empêcher le rejet des organes – d’ailleurs, le cerveau est vraiment fascinant, il n’est pas rejeté avec la même fréquence que les autres organes. L’un des enseignements que nous avons tiré du premier singe, c’est qu’après la transplantation corporelle totale, quand nous avons examiné le cerveau, il n’y avait aucun signe de rejet des tissus.

Robert White aura bientôt 74 ans. Il rêve d’être le premier chirurgien à réaliser une transplantation de la tête chez un être humain. Il est peu probable qu’il y parvienne. Même en étant optimiste et malgré tous les travaux de recherche en cours dans ce domaine, cela demanderait au moins vingt ans avant que la médecine sache assurer par exemple la régénérescence de la moelle épinière. Le Docteur White se prêterait-il lui-même à une telle expérience si ses organes devaient un jour s’avérer inopérants, alors que son cerveau fonctionnerait parfaitement ? Il reste discret sur la question. Mais comment réagit-il à sa réputation de Frankenstein du XXIe siècle ?

Robert White : Je ne sais pas. En vous parlant, je m’étonne encore de la distance qui me sépare de la légende de Frankenstein. Donc je ne m’en vexe pas et je laisse les gens établir ce genre de comparaison. Je trouve cela assez amusant, et fascinant surtout de penser que quelqu’un a écrit cela à l’âge de 18 ans. Qu’on me prenne pour l’héritier de la égende de Frankenstein si l’on veut, cela m’amuse, ça ne me blesse pas.

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